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Fanatique, elle le fut en effet comme elle l’avait dit, et nous n’insisterons pas sur l’accès de gallophobie indignée que Mme de Mouchanoff traversa pendant quelques semaines. Ce n’est pas qu’on n’y puisse relever certaines indications assez caractéristiques sur les préliminaires diplomatiques de la lutte et les courans de l’opinion européenne, mais ceux que cette indignation, après tout instructive et révélatrice, pourrait intéresser à titre de document historique iront en chercher l’expression dans les lettres de la comtesse. Nous n’en retiendrons pour notre part que les vues les plus générales. Aux yeux de cette petite-fille des gentilshommes rhénans, l’Allemagne défend, dans ce différend, sa grandeur à venir, grandeur qu’elle conçoit inoffensive et pacifique pour sa part, fondée sur le travail et dégagée des influences françaises qui n’ont adultéré que trop lontemps le pur idéal germanique ! C’est encore à peu de chose près, comme on le voit, l’état d’âme des parlementaires de Francfort en 1848. Napoléon, jadis à ses yeux le « plus grand homme des temps modernes, » lui apparaît désormais comme le plus grand criminel de l’histoire (après son oncle le premier Bonaparte toutefois), car il pactise avec les mauvaises passions de ses sujets et néglige son rôle de gendarme ou de garde-fou, le seul que lui ait jamais attribué au fond du cœur la nièce du chancelier de l’autocratie.

En août, elle est à Stuttgart, choyée par la famille royale dont elle vante l’attitude calme autant que digne. C’est de là qu’elle exhale contre nous ses plus violentes diatribes, mais, aussitôt après Sedan, son exaltation tombe et la femme reparaît enfin sous la théoricienne de la politique, de l’art et de la race. Désormais, elle n’aura plus que de la pitié pour tous ceux qui souffrent de ce duel acharné. Rentrée à Varsovie, la voilà qui organise, non sans opposition et sans difficultés, une collecte en faveur des prisonniers français. Elle se sent émue et attendrie par la constance de Paris assiégé ; elle s’emporte contre le gouvernement de la Défense nationale qui, à son avis, use, pour se maintenir, des moyens les plus odieux et prolonge à plaisir une lutte inutile, trouvant, dit-elle, dans ce mélange d’héroïsme, de vanité nationale, de crédulité ignorante et naïve dont se compose le caractère français, un instrument dévoué, parfois sublime, mais inévitablement malheureux !

Et puis l’unité allemande telle qu’on vient de la cimenter à Versailles n’a pas le privilège de la satisfaire. Elle est toujours