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elle mit au monde une fille qui devint plus tard la comtesse Charles Coudenhove et à qui s’adresse la correspondance dont nous nous servirons surtout pour cette étude. Ajoutons, dès à présent, pour mieux expliquer le nom placé en tête de notre article, que Mme Kalergis se remaria en 1864 à un gentilhomme russe du nom de Mouchanoff et qu’elle se laissa toujours donner le titre de comtesse, parce qu’elle le portait de son chef, à la mode allemande.

Vis-à-vis de sa fille, elle s’est expliquée plus d’une fois avec sincérité sur la brève et regrettable aventure de son précoce mariage. « Ma chère Marie, lui écrit-elle un jour, vous m’avez vue souvent pleurer ; vous connaissez les sentimens qui m’animent envers votre père : ceux d’une profonde estime et du plus affectueux intérêt. J’ai été mal élevée, je vous l’ai dit cent fois, et mon caractère, qui s’est formé plus tard et auquel je dois les amis et la considération dont je suis entourée, n’était pas développé à l’époque de mon mariage. Quelques années plus tard, j’aurais pu le rendre heureux. Une de mes plus profondes douleurs est celle-là. Nous sommes tous les deux gens de bien, et nous n’avons pu vivre ensemble. C’est parce que j’étais une enfant mal élevée et ignorante de la vie telle qu’elle est, telle qu’elle doit être. » Cette profession de foi a le ton de la sincérité et, lorsque Jean Kalergis mourut en 1863, sa femme s’empressa de lui consacrer une équitable oraison funèbre : « Il était, dit-elle, très charitable et n’a jamais fait sciemment du mal à qui que ce soit. Ses goûts étaient innocens, ses convictions parfois absurdes, mais toujours généreuses et, quoiqu’il ait souffert par sa défiance des hommes, il aimait l’humanité et compatissait à la souffrance d’autrui. Je regrette d’avoir été un embarras dans sa vie. Plût au ciel qu’il eût eu confiance en moi quand, à diverses reprises, j’ai proposé notre réunion comme un moyen de réparer les maux causés par l’imprévoyance de ceux qui nous avaient mariés ! »

Après un semblable début dans le monde, la vie s’annonçait difficile et orageuse en effet pour Marie de Nesselrode. Elle sortit pourtant victorieuse de l’épreuve, et, comme elle le disait plus tard à sa fille avec un orgueil légitime, elle conquit les amis et la considération. Il faut reconnaître toutefois que, pour assurer ce triomphe, elle possédait des armes efficaces : nous passerons rapidement ces avantages en revue. Le plus décisif de