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membres de sa famille, devint général commandant la gendarmerie de Varsovie et épousa une Polonaise, Thecla Natecz de Gorska, dont il se sépara après quelques années seulement de vie commune. Victime de la désunion de ses pareils, leur fille dut être confiée vers l’âge de dix ans aux soins de sa tante (à la mode de Bretagne), la comtesse Charles de Nesselrode, femme de l’homme d’état bien connu qui dirigea plus tard la politique russe, au temps de la guerre de Crimée. — La petite Marie fut donc élevée dans la maison de son oncle avec deux cousines à peu près de son âge : l’une d’elles devint la baronne de Seebach, fort connue dans la société parisienne et dont nous avons déjà prononcé le nom.

Née en 1823, la jeune Marie n’avait pas seize ans révolus lorsqu’elle fut mariée, le 15 janvier 1839, à un Grec de bonne famille qui habitait Pétersbourg à cette époque. Jean Kalergis prétendait se rattacher à l’homme de guerre du même nom qui commanda les contingens-vénitiens à Lépante et devint le gendre du doge Vendramin : il était dépourvu de séduction physique, mais fort riche et de manières distinguées. On raconte que les amis désireux de le marier avaient d’abord songé pour lui à l’une des filles du comte Charles Nesselrode, toutes deux un peu plus âgées que leur cousine de Pologne. Mais dès qu’il aperçut cette dernière en leur compagnie, l’original étranger déclara froidement : « C’est la grande blonde qui me plaît le mieux et que je désire épouser ! » — Sur quoi la comtesse Charles Nesselrode fit appeler sa nièce et lui dit sans périphrases : « M. Kalergis a demandé votre main : c’est un brave homme qui a une belle fortune et je crois que vous serez heureuse avec lui ! » La « grande blonde » fut donc épousée, comblée de diamans, de plumes, de cachemires et emmenée à Londres où son mari résidait le plus souvent.

Par malheur, cette aventure, qui ressemble au conte de Cendrillon, tourna bientôt d’autre manière, sans doute parce que M. Kalergis n’avait ni la tournure ni le caractère du Prince Charmant. Peu de mois après leur union, les époux se séparaient pour incompatibilité d’humeur, la jeune femme reprochant à son mari une jalousie presque maladive à son égard, le mari se plaignant de certaines inconséquences que l’extrême jeunesse de sa compagne suffisait à excuser peut-être. — Quoi qu’il en soit, Mme Kalergis revint aussitôt à Pétersbourg où, le 19 janvier 1840,