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les semences d’avenir sont répandues, alors, autour de la ville sacrée des Francs, Reims ? Jeanne d’Arc naît à Dom Remy, sous l’influence directe du saint initiateur. Où va-t-elle ? À Reims. Quand s’achève-t-elle ? Après Reims. S’il y a une descente du ciel sur la France, elle se fait à Reims, avec la colombe de la Sainte-Ampoule ; s’il est un miracle de la royauté française, il se fait à Reims, par la guérison des écrouelles. C’est à Reims que Clovis a déclaré l’accession des nouveaux peuples à la civilisation romaine. C’est au concile de Saint-Bâle de Reims que, du temps de Gerbert, la nouvelle dynastie a pris conscience d’elle-même. La noble cathédrale lève vers le ciel ses deux bras mutilés et prie pour la France. Au temps de Jeanne d’Arc, Regnault de Chartres est archevêque de Reims ; Cauchon est de Reims ; Jouvenel des Ursins, qui présidera au procès de réhabilitation, succède à Regnault de Chartres au siège de saint Rémy ; Reims réparera le crime que Reims a commis. Reims est la borne de la victoire bourguignonne. Reims est le boulevard de la France vers la frontière de l’Est. Tout cela se tient… Pourquoi ne reconnaître, en ces faits connexes, que les rencontres du hasard ? Ne pourrait-on pas chercher et entrevoir des causes profondes et des lois sous-jacentes ?

Est-ce aller trop loin et être trop hardi historiquement (si l’on reconnaît à l’histoire des lois), que de signaler ces hautes fatalités qui environnent la destinée de Jeanne d’Arc ; la science ou la simple observation les reconnaît, au fur et à mesure qu’elle avance dans les voies qui lui ont été tracées par la crise du XVe siècle, comme un voyageur mesure, en se retournant, le chemin parcouru.

Si on prend à la lettre les paroles de Jeanne, il semble bien, qu’à diverses reprises, ses voix l’ont trompée et qu’elle n’a pas accompli toute la mission annoncée : elle n’a pas, elle-même, « bouté hors » les Anglais ; elle n’a pas fait entrer le Roi dans Paris ; elle n’a pas été délivrée. Mais combien n’est-il pas contraire au sens vrai des choses d’épiloguer sur ces détails, puisque l’objet essentiel s’est réalisé, à savoir le salut du royaume de France ?

Cette surexcitation, ce zèle, soit national, soit religieux, « cette hyper raison qui la porte à voir l’œuvre comme accomplie, allons-nous la mesurer au petit compas de nos esprits arithmétiques et pédagogiques ? Elle a réalisé, avant sa mort, et elle