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soumettre à l’Église militante qui est sur la terre, ni à son jugement ? » — « Je ne réponds rien que je prenne dans ma tête (per ratiocinationem causata) ; ce que je réponds est du commandement de mes voix (immaterialis cognitio) ; elles ne me commandent point de désobéir à l’Eglise : mais DIEU PREMIER SERVI ! » C’est-à-dire : que l’Eglise n’abandonne pas les voies de Dieu, la vérité, la justice, le sacrifice, si elle veut être obéie.

Toute la réforme, la réforme par l’Eglise sur elle-même et au nom de son propre principe, est dans ces simples mots. Jeanne fait la leçon aux docteurs, aux maîtres de l’Université, aux prélats du Concile, à tous ceux qui affirment qu’on peut faire descendre l’autorité divine sur les pages d’un grimoire, ou sur le parchemin d’un diplôme, à ceux qui pensent qu’on peut faire bombance ou parader sous les dais d’orfroi en se gaudissant du bien des pauvres, et qu’on peut imposer cette espèce d’autorité par des sentences ou même par des bûchers, aux consciences.

En vérité, c’est bien plus simple : soyez bons, purs, justes, bienveillans et bien intentionnés : le reste viendra par surcroît.

Les juges de Jeanne d’Arc peuvent la quitter pour gagner, en hâte, la plus hautaine assemblée d’indiscipline qu’ait vue le monde : de même que leur orgueil a échoué en la brûlant à Rouen, il échouera à Bâle et pour les mêmes causes. Il n’était pas du dessein éternel que l’unité française, ni l’unité latine, ni la tradition antique périssent. La complicité de la violence et des trahisons, des particularismes et des pédantismes ne devait pas prévaloir contre elle. Au-dessus de la loi, il y a la vertu, au-dessus de la science, il y a la vérité. DIEU PREMIER SERVI !

Qu’on admette l’intervention de la Providence, qu’on suppose l’action obscure d’une de ces lois de survie de l’humanité que l’histoire et la science détermineront peut-être un jour, l’apparition de Jeanne d’Arc, rien que pour avoir remué de tels problèmes, avec de tels effets, a quelque chose de surhumain et participe du mystère : elle est certainement placée au-dessus du cours ordinaire des choses, à la hauteur où la religion l’a mise, où la raison la maintient.

Rien n’empêche donc que, sans acception de parti, de doctrine ou de nationalité, cette consécration soit acceptée par tous. S’il y a une chose démontrée, c’est que les doctrines ne sont que des tentes pour nous abriter un jour. Le fait est plus haut que les explications ; les synthèses humaines cherchent, par des efforts