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Car pour expliquer, autant qu’il est possible, la carrière de Jeanne d’Arc, il faut tenir compte, non seulement du mouvement qui l’accompagne et la soulève, mais de celui qui la refoule et, finalement, l’accable. Il y a les amis et les partisans de Jeanne d’Arc ; il y a ses adversaires, et ceux-ci la justifient mieux peut-être encore que les premiers.


Désordre dans la royauté, dans la famille royale, dans les ministres du Roi. C’est aux entourages qu’elle trouve l’opposition la plus vive. Ils sentent qu’elle vient faire place nette. Ils luttent en désespérés. Toute grande carrière se heurte aux traquenards de l’intrigue dissimulée, de l’hostilité sournoise, aux coups fourrés, à la conspiration du silence. L’habileté consista toujours, chez les favoris de Charles VII, à le laisser s’enlizer, de lui-même, en sa molle habitude de la paresse et du mutisme. Mais Jeanne avait su distinguer, du premier coup d’œil, la voie qui le ramènerait au devoir. Elle plaida auprès du Roi la cause de ce Richemont qui devait balayer l’engeance et devenir, par excellence, l’organisateur, le justicier. Le mot qu’elle lui adresse est d’une justesse admirable : « Beau connétable, ce n’est pas par moi que vous êtes venu ; mais soyez le bienvenu ! »

Dans la famille royale, le désordre est endémique, depuis deux générations. Les branches cadettes ont entrepris de ruiner et de dépouiller la branche aînée. Un homme est leur chef, le Duc de Bourgogne. C’est à celui-ci qu’elle s’en prend ; c’est lui qu’elle somme de rentrer dans le rang et d’occuper sa place à la cérémonie du sacre. Il se détourne : elle le ramènera « du bout de la lance ; » mais avec un sentiment si juste, si exact de la mesure que quand le grand-duc d’Occident aura échoué devant Compiègne, Jeanne d’Arc encore vivante, il viendra vers Charles VII à résipiscence, prêt à reprendre, en vassal fidèle, son « service » dans la lutte contre l’étranger.

Les Anglais ont profité du désordre du royaume pour l’accroître ; le mal les gagnera eux-mêmes. Ecoutez, encore, le mot de Jeanne d’Arc : car, à chacun sa sentence. Jacques de Touraine lui demandait si elle s’était jamais trouvée en un lieu où l’on eût tué des Anglais : — « En nom Dieu, répond-elle à cette âme sensible, comme vous en parlez doucement ! .. Qu’ils s’en voysent en leur pays !… »

Ils sont rentrés dans leur pays, y emportant, avec eux, cet