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avant celle de la prison ? On ne lui laisse pas le temps de la réflexion. On insiste sur ce terrible sujet, séance tenante : « Voulez-vous soumettre à la décision de l’Eglise vos faits et vos dits ? » — « Mes œuvres et mes faits sont tous en la main de Dieu : du tout je m’en attends à lui. Je vous certifie que je ne voudrais rien dire ou faire contre la foi chrétienne. Envoyez-moi un clerc samedi et je lui répondrai de ce à l’aide de Dieu et ce sera mis en écrit. » On attendra : mais, peut-être, la reprendra-t-on, par un détour, à propos de la doctrine que lui enseignaient ses voix. C’est alors que, dans un délicieux moment d’effusion, elle découvre, devant ces barbares, le fond de son âme si tendre et si pure : « Sur toutes choses, saint Michel me disait que je fusse bon enfant et que Dieu m’aiderait ; de venir au secours du roi de France : je vous ai déjà dit tout cela ; il me racontait la grande pitié qui était au royaume de France. »

Après une telle séance, on la poursuit jusque dans sa prison. À cette heure d’angoisse mortelle, on veut la bloquer sur le point principal, celui qui décide tout, qui tranche le débat, l’hérésie. Les clercs sont sans pitié : « Vous en rapportez-vous à la détermination de l’Eglise ? » — « Je m’en rapporte à Dieu qui m’a envoyée, à Notre-Dame, à tous les saints et saintes du Paradis. Et m’est avis que c’est tout un, Dieu et Eglise, et qu’on n’en doit point faire de difficulté. Pourquoi, vous, y faites-vous difficulté ? »

À cette question, d’une force et d’une candeur incomparables le clerc répond par une définition dogmatique : « Il existe une Eglise triomphante où sont Dieu, les saints, les anges, et les âmes sauvées. Il existe une autre Eglise, une Eglise militante où sont le Pape, vicaire de Dieu sur la terre ; les cardinaux, les prélats de l’Eglise, le clergé, tous les bons chrétiens et catholiques ; cette Eglise, régulièrement assemblée, ne peut errer, étant régie par le Saint-Esprit. Voulez-vous vous en rapporter à cette Eglise que nous venons de vous définir ? » — « Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la bienheureuse Vierge Marie, tous les saints et saintes du Paradis et de l’Eglise victorieuse de là-haut, et de leur commandement. À cette Eglise, je soumets toutes mes bonnes actions, tout ce que j’ai fait et ferai. De dire si je me soumettrai à l’Eglise militante, je ne répondrai, maintenant, autre chose. »

La cause est entendue. Les juges sont munis : ils tiennent leur victime. Après une nouvelle séance, où Jeanne, sur un conseil qui lui a été glissé peut-être, fait comme une allusion à