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fin, au royaume du Paradis, vous tenez-vous assurée d’être sauvée et de ne pas être damnée en enfer ? » — « Je crois fermement ce que mes voix m’ont dit, que je serais sauvée ; je le crois aussi fermement que si je l’étais déjà. » — « Après cette révélation, croyez-vous que vous ne puissiez plus pécher mortellement ? » — « Je n’en sais rien et du tout m’en attends à Notre-Seigneur. » — « C’est là une réponse de grand poids, » observe le clerc ; car il sait qu’elle peut être interprétée comme attentatoire aux droits de l’Eglise. Jeanne d’Arc répond bravement : — « Oui ; et c’est, pour moi, un grand trésor. » Tout est là, en effet. Si elle n’est pas « fille Dieu, » son système s’écroule. Une telle réponse devant de tels juges la perd. Mais quoi, c’est sa vocation.

Le tribunal tient ce fil ; il ne le lâche plus : — « Avez-vous besoin de vous confesser, puisque vous croyez à la révélation de vos voix que vous serez sauvée ? » — « Je pense, répond-elle, que si j’étais en péché mortel, sainte Catherine et sainte Marguerite m’abandonneraient aussitôt. » Elle ajoute, d’ailleurs, par une révérence convenable aux lois de l’Eglise : — « Je crois que l’on ne peut trop nettoyer sa conscience. »

Mais le lendemain, 15 mars, l’interrogateur triomphe : « Tout d’abord, Jeanne a été « charitablement » exhortée et avertie, si elle a fait quelque chose qui soit contre notre foi, qu’elle s’en doit rapporter à la détermination de la sainte Mère Eglise. » Elle dit qu’« il n’y a rien, dans sa pensée, de contraire à l’Eglise, et que, s’il y a quelque chose contre la foi chrétienne, elle serait bien fâchée d’aller à l’encontre. » Le docteur lui apprend le point où, selon lui, elle a erré : « Nous lui avons fait connaître, alors, l’Eglise triomphante et l’Eglise militante et ce qu’il en est de l’une et de l’autre, c’est-à-dire que, entre l’Eglise triomphante, à savoir Dieu qui est dans le ciel, entouré des anges et des saints, et chaque chrétien, il n’y a d’autre communication possible que par l’Eglise militante sur la terre. » Jeanne est requise « de se soumettre à la détermination de l’Eglise militante (c’est-à-dire, en somme, du tribunal qui la juge), sur ce qu’elle a dit ou fait, soit bien, soit mal. »

La voilà en présence du dilemme fatal à toute inspiration et vocation individuelle. Brisera-t-elle avec les lois et les règles de la société à laquelle elle appartient ? Elle demande à réfléchir : — « Je ne vous en répondrai autre chose pour le présent, » dit-elle. C’est la minute décisive dans la vie de tous les grands hommes. Socrate l’a vécue avant l’heure de la ciguë, Galilée