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pas du procès. » Plusieurs fois, les juges interrogent précipitamment et elle les rappelle à l’ordre : — « Ne parlez pas tous à la fois, beaux pères ! » Elle s’en réfère à ses réponses antérieures, elle fait corriger le procès-verbal inexact et dit au greffier : « Si vous vous trompez encore, je vous tirerai les oreilles. » (Procès, III, 201.) Elle tient tête partout, mais elle fléchit, parfois, sous une pareille offensive.

Le 12 mars, le vice-inquisiteur est requis de figurer au procès, selon qu’il en a reçu l’ordre de l’inquisiteur général Jean Graverend, sur la demande expresse de Cauchon. Ainsi le tribunal n’est constitué que quand, depuis vingt jours déjà, la procédure est engagée. Irrégularité notoire et criminelle. Qu’importe ? Cauchon peut dire, désormais : « A partir de cet instant, nous avons procédé ensemble à toute la suite du procès[1]. »

Le 13 mars, Delafontaine, conseiller-commissaire au procès, supplée Cauchon à l’interrogatoire. Il revient à cette épineuse question du « signe. » Tant d’insistance épuise Jeanne. Elle n’en peut plus ; elle a besoin du secours de ses voix. Celles-ci lui font trois promesses : elle sera délivrée ; Dieu viendra en aide aux Français ; son âme sera sauvée. Elle se trouve ainsi réconfortée par le rappel à son œuvre, à sa foi, à elle-même, à sa mission et à l’auteur de Tune et de l’autre, le Créateur.

Mais elle va recevoir un assaut plus redoutable encore. Le juge quitte le terrain politique et dynastique pour aborder le second grief capital du procès : l’intervention de la Divinité, l’inspiration directe et sans intermédiaire. C’est le point de vue théologique : on touche à l’ordre ecclésiastique, au dogme et à la foi.

— « Depuis que vos voix vous ont dit que vous iriez, en la

  1. Les causes de nullité abondent. En voici quelques-unes relevées par l’abbé U. Chevallier, s’appuyant sur les règles du tribunal de l’Inquisition : 1° La compétence territoriale de Cauchon comme évoque de Beauvais était douteuse. — 2° Jeanne déclina la compétence personnelle de Cauchon et du tribunal comme suspects de partialité contre elle. Cauchon répondit : « Le Roi m’a ordonné de faire ce procès ; je le fais. » — 3* L’inquisiteur et les assesseurs n’assistèrent pas à toutes les séances ; cette assistance était obligatoire. — 4° On devait, d’après le droit canon, donner à l’accusée un défenseur. Les pièces du procès devaient lui être communiquées par écrit. — 5° Comme mineure, elle devait avoir un curateur dont l’absence rendait le procès nul. — 6° Dans les causes de cette nature, l’évêque devait procéder lui-même à tous les interrogatoires. Et, enfin, ces deux causes capitales et qui couronnent tout : — 7° L’accusée et le tribunal lui-même, par la pression des Anglais, manquèrent de la liberté nécessaire ; — 8° l’appel au Pape fut méprisé à l’encontre du droit canonique et de l’usage. Abbé U. Chevallier, l’Abjuration de Jeanne d’Arc, 1902 (p. 32-34).