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en effet. Il insiste encore ; c’est alors que, nettement, elle dénie la compétence : — « Tout le clergé de Rouen et de Paris ne saurait me condamner, s’il n’y a droit ! » Et s’élevant, soudain, au-dessus de l’enceinte, au-dessus de l’espace et du temps : — « Je suis venue de par Dieu ; je n’ai rien à faire ici ; que l’on me renvoie à Dieu d’où je suis venue. » On l’y renverra.

Cauchon passe l’interrogatoire à Beaupère : mais il reste et il écoute. La Pucelle a senti son succès ; selon la tactique des combats, elle fonce sur l’adversaire ébranlé. Déblayant les questions assez médiocres de Beaupère, elle se tourne vers l’évêque : « Vous dites que vous êtes mon juge ; prenez garde ; vous vous mettez en grand danger. » Cauchon se tait. Beaupère continue, s’attirant, à son tour, quelques coups droits. Toutes les questions sur la jeunesse, sur les prédictions relatives à la femme qui doit venir de Lorraine, sur le Bois Chesnu, sont éclaircies, par elle, avec prudence et modestie. Mais on revient à l’habit d’homme : « Voulez-vous prendre habit de femme ? — « Donnez-m’en, un ; je le prendrai et m’en irai (cela veut dire : n’étant plus qu’une femme, non un soldat, vous me rendrez la liberté) ; autrement non. Je suis contente de celui que j’ai, puisqu’il plaît à Dieu que je le porte. »

Le 27, c’est encore Beaupère qui questionne. Il se fatigue visiblement. Cette femme est « subtile. » L’interrogatoire revient sur les voix ; les figures sensibles de saint Michel, sainte Catherine, sainte Marguerite commencent à se préciser ; mais le questionneur veut des détails ; elle le rudoie. Sur l’épée de Fierbois, sur son étendard, sur les armes déposées à Saint-Denis, faits notoires, elle s’explique sans ambage. Autre réponse extrêmement habile, dans sa naïveté, quand il la pousse au sujet de sa bannière : « C’était moi-même qui portais cette bannière quand j’attaquais les ennemis, pour éviter de tuer personne… car je n’ai jamais tué personne. »

Jusqu’ici, l’interrogatoire n’a pas fait un pas. Beaupère est à bout de souffle. L’évêque reprend la présidence (1er mars). Il a probablement réfléchi. Il pose à Jeanne, d’abord, une question très délicate, qui touche à l’ordre catholique : le comte d’Armagnac a écrit à la Pucelle pour lui demander lequel des trois papes était le vrai : elle a fait écrire qu’elle ne pourrait répondre que quand elle serait à Paris ou ailleurs, à tête reposée.

On compte l’embarrasser là-dessus, puisqu’elle n’aurait pas