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apprivoise et instruit ses Quichuas, l’Argentine a soumis, avec le général Roca (1875-1880), les derniers nomades de la pampa septentrionale ; le Brésil investit des chefs indigènes parmi les Botocudos des serras atlantiques, tandis que les Céarenses, récolleurs de caoutchouc, pénètrent le long des affluens de l’Amazone chez les sauvages retranchés au cœur de la selva. Et ces Indiens aussi, se métissant, se latinisent. Bien mieux, les noirs eux-mêmes ne résistent pas : alors qu’aux États-Unis, en face des Anglo-Saxons étanches, ils multiplient entre eux et demeurent une race d’importés, au Brésil où jamais ne commande le préjugé de couleur, ils se croisent et disparaissent comme type exclusif d’humanité ; dans le coupage final, c’est le sang des blancs, le sang latin qui l’emporte. Une liste de noms de famille, empruntée à un journal quelconque, accuse encore la diversité des origines ; mais, que l’on ne s’y trompe pas, la terre sud-américaine forge, de tous ces élémens associés, la variété humaine que réclame son avenir, et c’est une variété néo-latine.

La croissance des Etats sud-américains les conduit à rechercher, mais sous des formes de mieux en mieux équilibrées, des collaborations et des amitiés au dehors. Tant que le morcellement du candilismo a prévalu, toute l’activité des notables citoyens, à de rares exceptions près, se concentrait sur les compétitions stériles de la politique pure ; les hommes d’Etat se révélaient, en ce qu’ils paraissaient animés d’autres et plus hautes préoccupations, les Mitre, les Montt, les Nabuco et, parmi eux, ce très moderne et vraiment libéral Pedro II, qui fut le dernier empereur brésilien avant la proclamation de la République (1889). Les tâches économiques ou intellectuelles étaient abandonnées à des résidens étrangers ; des ingénieurs anglais traçaient les premiers chemins de fer, le Français Amédée Jacques rédigeait pour l’Argentine un programme admirablement prophétique d’enseignement civique ; l’argent venait du dehors pour toutes les grandes entreprises, comme pour les emprunts publics. Aujourd’hui, beaucoup de natifs, hommes de parole et de plume, sont devenus des hommes d’affaires ; un capital indigène est né, qui intervient dans toutes les innovations intéressantes ; on observerait même, à Rio par exemple, une certaine méfiance contre telle grande compagnie canadienne et américaine du Nord, dont on dit qu’elle reste trop rigoureusement étrangère.

De là une réaction générale, et de plus en plus agressive,