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triomphantes quand arrivent des vaisseaux d’Europe chargés de contrebande, et de semaines d’indigence lorsque la ville, bloquée du dedans par les caudillos amis de Rosas, doit subsister sur ses réserves et sur les pêcheries du littoral…

C’est une histoire riche de couleurs, aussi, que celle de Gamarra et du coloDel Vivanco au Pérou (1830 à 1844). Le premier, créole de basse origine, avait d’abord servi contre Bolivar les ambitions d’un rival, puis s’était adroitement substitué à ce dernier pour atteindre au pouvoir suprême : sa femme, merveilleuse écuyère, passait les revues casque en tête, au galop de son cheval ; Lima, la capitale américaine de tous les lyrismes, fut, pendant cinq ans, enthousiaste de la belle amazone ; puis des rancunes féminines se coalisèrent en faveur d’un brillant officier, dom Luis Orbegoso et ce fut une guerre meurtrière, où intervinrent des troupes boliviennes et chiliennes, où Gamarra finit par mourir sur le champ de bataille, au cours d’une marche audacieuse contre La Paz, capitale de la Bolivie (1841). Dans l’anarchie que déchaîna cette mort, Vivanco dut à sa femme, lui aussi, de se hisser à la dictature ; il était préfet dans le Sud, à Aréquipa, lorsque doña Cypriana, magicienne irrésistible, le fait acclamer par deux régimens et l’entraîne à Lima, qui l’accueille sous une pluie de fleurs (1842) ; ce furent deux années de réceptions et de fêtes puis, un jour de 1844, comme Vivanco poursuivait dans la campagne son ennemi Castilla, ancien chef d’état-major de Gamarra, un peloton de soldats s’emparait du palais et proclamait président de la République le préfet de Lima, dom Domingo Elias.

« Nous sommes guettés par l’opérette, » pouvaient dire la plupart des auteurs de ces révolutions : mais l’opérette tournait souvent au drame ; aussi bien cet âge du théâtre ne s’est prolongé longtemps que sur les scènes de nos capitales occidentales où des types conventionnels d’Américains paraissaient encore, alors qu’en leur pays d’origine, ils passaient au rang des formes archaïques. L’ordre, petit à petit, se dégageait du chaos et, de même que les organisateurs de la victoire, les fondateurs des républiques constitutionnelles tiennent par leur éducation, par leurs méthodes à des filiations intellectuelles parties d’Europe : au Chili, les pelucones (perruques) l’emportent dès 1833, avec Joaquim Prieto, président de la République, et Diego Portalès, premier ministre ; celui-ci, traditionnel et moderne