Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moderne, viable, est né en Amérique du Sud sur les ruines de l’administration coloniale.

L’histoire du Brésil, au XIXe siècle, sera relativement calme, tandis que celle des Républiques encore imprécises, issues des anciennes colonies espagnoles, sera longtemps agitée par les convulsions d’une enfance indisciplinée. Quelques faits suffiront à le montrer, choisis parmi beaucoup d’autres, parce qu’ils semblent plus caractéristiques de l’ambiance. L’Uruguay devient indépendant, en 1828-29, par un véritable coup de surprise : conquise par les Brésiliens, qui la dénommèrent province cisplatine, la Banda Oriental leur est ensuite disputée par des patriotes, que soutiennent des concours argentins ; les troupes brésiliennes sont battues (1827) ; mais le plénipotentiaire argentin envoyé à Rio pour traiter, mal informé, déclare céder au Brésil toute la Banda Oriental ; grand émoi à Buenos-Ayres et à Montevideo, réunions, protestations. Le Brésil ni l’Argentine n’avaient désir de s’engager à fond, il est donc convenu que les habitans de la Banda se prononceront eux-mêmes sur leur sort ; ils n’étaient pas alors 80000, par groupes dispersés entre des Indiens belliqueux ; à l’étonnement général, ils s’émancipent de leurs deux voisins et proclament leur indépendance ; la Constitution jurée par eux le 15 juillet 1830 est destinée à rester bien des années théorique ; ils l’avaient hardiment copiée sur celle des Etats-Unis…

De l’autre côté de l’estuaire, l’opiniâtre Rosas, fils de famille élevé en gaucho, conquiert pièce à pièce, de 1829 à 1835, la « suma del poder publico, » qu’une assemblée lui décerne, après une série de victoires sur des caudillos rivaux et des Indiens. Véritable tyran, il règne par la terreur, servi par des bandes de mazorcas, qui traquent partout les suspects, fédéraliste acharné contre les « sauvages unitaires, » qui voudraient un Etat compact, constitutionnel, lié de commerce et d’amitié avec les étrangers ; l’insolent dictateur maltraite des sujets anglais. et français, il brave les flottes de ces deux puissances ; ses adversaires politiques, indignés de voir qu’il contraint lus Argentins à vénérer son image, se groupent à Montevideo, avec un régiment basque, une légion italienne où sert Garibaldi ; la « nouvelle Troie » subit alors, de janvier 1843 à octobre 1851, un siège intermittent, période de vie intense, tumultueuse, traversée de tragédies sanglantes et d’incidens burlesques, faite de journées