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aussi des banquiers. Simon Bolivar, né à Caracas en 1783, était issu d’une famille de riches propriétaires ; suivant la coutume ordinaire dans ces milieux, il fut envoyé à Madrid pour compléter son éducation ; marié avant vingt ans, il était revenu à Caracas pour gérer les domaines patrimoniaux, lorsque la perte de sa jeune femme, enlevée par la fièvre jaune, le lança, par besoin presque fou de diversion, d’abord, dans l’ardeur des luttes politiques où il devait user sa vie ; il voyagea aux Etats-Unis, en Angleterre, en Italie, en France ; il eut maille à partir avec la police napoléonienne, car il s’exprimait librement sur le fait du régime impérial, se réclamant de la Révolution. Au cours de ses tournéesj il ne cessait de parler de l’émancipation américaine et, quand il rentra enfin au Venezuela (1811), il ramenait un de ses compatriotes, le vieux général Miranda, qui avait servi sous Dumouriez. Simon Bolivar était, d’instinct et de culture, un organisateur ; mais ses compatriotes, dont l’enfance et la jeunesse n’avaient pas été formées sous les mêmes disciplines, n’étaient pas capables encore de se laisser longtemps guider par lui.

José de San Martin, le libérateur du Chili et du Pérou, était lui aussi un créole, né dans le territoire argentin des missions, non loin d’une ancienne Réduction des Jésuites. Sa carrière, moins les tristesses intimes, ressemble à celle de Bolivar ; il fit ses études à Madrid, au collège des Nobles et, sorti avec le grade d’officier, il prit part à la campagne loyaliste contre les armées de Napoléon ; il assistait à la capitulation de Dupont à Baylen (20 juillet 1808) et passait peu après à Buenos-Ayres. Là, pour donner une armée à la révolution, qui déjà grondait, il fit œuvre de méthode et de patience en formant le fameux régiment des grenadiers à cheval, c’est-à-dire la première troupe régulière qui ait été levée et entretenue en Argentine. Au Mexique, on en dirait autant des débuts du colonel Iturbide, Basque d’origine, créole de naissance, et l’on ne peut se défendre de rappeler que George Washington lui-même n’avait jugé jadis son succès assuré que lorsque des bataillons de France étaient venus associer leur force hiérarchisée à la fougue mal réglée des miliciens d’Amérique.

Ainsi tous les fondateurs de la liberté avaient passé par l’Europe ; leurs triomphes ne furent pas décisifs dès les premiers jours, mais du moins ont-ils tracé les voies du progrès à venir.