Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Moi, j’essaie de penser à Cavillac et à la joie de m’y trouver avec vous, mais j’ai peur que ce soient là déjà des paradis perdus. Qui sait où je serai dans un mois ? Fou ou bien gâteux, c’est-à-dire paralytique ! Et alors quel convive ! Cependant je vais tâcher de reprendre un peu de force et d’équilibre et, dès que je serai présentable, j’arrive.

Amitiés à tous les vôtres, ma chère amie, et à vous une pensée qui est peut-être la dernière, mettons l’avant-dernière.


Montauban, 4 août 1902.

Ma chère amie,

Vous avez donc été souffrante et assez sérieusement pour qu’on ait dû retarder le mariage. M… vient de me l’apprendre d’après une lettre qu’elle a reçue de D… Vous avez été victime de votre excès de dévouement et cela ne m’étonne pas du tout ; mais cela m’alarme pour plus tard parce que vous guérirez bien, — et c’est déjà fait, — de votre maladie actuelle, mais non pas de l’autre, de votre altruisme exagéré, maladie peu commune, mais, j’en ai peur, incurable pour un cœur comme le vôtre.

Vous êtes descendue pour la première fois au jardin. La journée était-elle belle, au moins ? L’été vous a-t-il fait fête ? Aviez-vous la musique exaltée des cigales, et la bonne odeur de roses pour vous aider à revivre ? Que D… serait aimable si elle voulait bien, avant que vous ayez la force et le loisir de me répondre, m’envoyer un bulletin, si bref qu’il soit, de votre santé. La mienne n’est ni meilleure ni pire ; c’est une espèce de misère générale. Je ne puis plus ni penser ni agir. Les centenaires doivent, je le suppose, végéter à ma manière. Mon espoir est d’arriver à n’en avoir plus conscience. Peut-être aussi vaudrait-il mieux être mort.

Je vous serre les mains bien affectueusement.


Jacob-Bellecombette. Dimanche (automne 1903).

Ma chère amie,

Que devenez-vous ? Voilà plus d’un mois, bientôt deux, que je n’ai eu de vos nouvelles. Et vous attendiez cependant un événement d’importance. J’espère qu’il s’est bien passé, mais j’aimerais mieux en être certain. Je suis depuis six semaines en