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V

Les notes intimes de Flaubert se confondent souvent avec ses notes de voyages. Celles-ci fourniraient aisément la matière de deux ou trois volumes.

Pour les unes comme pour les autres, nous avons dû nous borner, ici encore, à reproduire les plus caractéristiques.


Hier, 10 avril (1870), reçu la visite de Taine.

Il ne m’a pas parlé du plébiscite : rara avis ! J’étais tenté de l’embrasser.


« L’un n’a-t-il pas sa barque et l’autre sa charrue ! »

Comme je me suis répété cela, depuis dix mois (1870) !


L’idée du suicide est la plus consolante de toutes. Comme rien ne peut plus vous atteindre, une fois mort, à chaque douleur nouvelle qui vous saisit, on a par devers soi cette pensée : « Oui, mais quand je le voudrai, cela ne sera plus ! »

Ainsi la vie se passe, lentement.

4 avril, un mardi (1870).


Le premier (Alfred) m’a quitté pour une femme, le second (Bouilhet) pour une femme. Le troisième (Ducamp) me quittait pour une femme. Tous, tous !

Suis-je donc un monstre ?

« L’homme absurde est celui qui ne change jamais ! »

C’est moi l’homme absurde !

Pauvre vieux fou, qui porte, à cinquante ans, le dévouement qu’ils avaient (peut-être) à dix-huit !


Extrait du Voyage en Grèce : Le Cithéron sous la neige.

Dimanche 12 (janvier 1851). Journée épique.

Partis de Livadia à sept heures du matin, le mieux accoutrés que nous pouvons, nous tenons la plaine que nous descendons insensiblement. A notre gauche, au loin, le lac Copaïs est perdu dans les marais. Les montagnes sont tout estompées de brouillard.

A onze heures, nous nous arrêtons dans le khan de Julinari.