Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

23 mai, dans l’après-midi, ayant à ses côtés Guillaume de Flavy, Polon le bourguignon et 5 ou 600 hommes, elle passe le pont pour surprendre un poste ennemi qui serrait la place de trop près. Après une brillante escarmouche, à la nuit tombante, un secours inespéré, que le hasard amène à l’ennemi, change la fortune. Guillaume de Flavy et la plus grande partie de la troupe s’enfuient et rentrent dans la place. Assaillie, entourée, épuisée, elle ne voulait pas battre en retraite. Son écuyer d’Aulon prend la bride de son cheval pour la ramener ; elle est poussée jusqu’auprès du pont, d’où les Anglais l’avaient coupé déjà. Elle se défend héroïquement. Un archer picard la tire par sa huque de velours d’or, la jette à bas de son cheval, la saisit à bras-le-corps, la fait prisonnière ; elle est livrée à Jean de Luxembourg, le fatal Bourguignon.

C’en est fini de Jeanne, mais l’œuvre de l’héroïne se poursuit. Le geste porte, même quand le bras est arrêté. Il faut dire ce qui advint du siège de Compiègne : ainsi on appréciera, avec l’importance stratégique de la ville, la clairvoyance de Jeanne. On jugera, par les conséquences, la portée de ses vues et de ses décisions, contraires à celles du Roi et de ses conseillers. Le salut de Compiègne n’était pas trop payé du bûcher de Rouen.


Dès le 25 mai, le Duc de Bourgogne faisait savoir à son oncle, le duc de Savoie, par une lettre datée du camp de Venette-les-Compiègne, qu’il attendait, maintenant, en toute confiance, l’issue de la campagne, en dépit des feintises, cautèles et dissimulations de l’adversaire : « Nous sommes, écrivait-il, grandement réconfortés de la guerre ; car, le 23 mai, vers six heures, les assiégés ayant fait une sortie, celle qu’ils appellent la Pucelle et plusieurs capitaines, chevaliers, écuyers et autres ont été pris, noyés et tués. Si, je vous écris, très cher et très amé oncle, pour ce que ne fais pas doute que bien vous fera plaisir[1]. »

Cela faisait plaisir, surtout, à celui qui écrivait la lettre ; la fortune le comblait. La place fut entourée de solides bastilles ;

  1. La nouvelle fut annoncée en grande allégresse, par lettres spéciales du duc, aux bonnes villes de la domination bourguignonne : « Geste chose vous écrivons pour noz nouvelles, espérans que en aurez joye, confort et consolation. » (Archives de Saint-Quentin.) — La nouvelle fut connue à Paris le jeudi 25, par lettre de Jean de Luxembourg adressée à son frère, le chancelier Louis. Cf. A. Sorel, La Prise de Jeanne d’Arc à Compiègne (p. 213).