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Roi, caracole en cadence autour des musiciens groupés en cercle devant notre belvédère et exécute un véritable exercice de manège. A la fin de la cérémonie, je sollicite du premier ministre la permission de faire visite à sa Maharani en son palais. Comme le Résident ne saurait s’exposer à un refus, je présente ma requête moi-même. Son Excellence Chander Sham Sher l’accueille avec plaisir et me demande mon jour. Il a été Parisien pendant une semaine ; le protocole anglais ne lui avait pas accordé davantage. Mais il adore Paris, rêve d’y revenir et veut bien m’assurer qu’il sera charmé de m’y voir. Tous les autres Maharajas et le Roi sont intrigués et amusés par ma présence : à part quelques Anglaises, femmes de hauts fonctionnaires, je suis la première Européenne qui pénètre dans leur pays.

Le lendemain, on célébra, selon la coutume, la fête annuelle en l’honneur de Dourga, qu’on appelle aussi Kali, la déesse féroce, par une grande tuerie de buffles. Mon cher hôte s’abstient, par politique ou par goût, de paraître à cette boucherie, et il me fut facile de comprendre que la présence d’une femme étrangère ne convenait pas à semblable cérémonie. Elle a lieu dans le sombre palais du Kott, de sanglante mémoire, où Jang Bahadour, en 1846, avec la complicité d’une odieuse Rani, lit massacrer, pour venger son oncle Bhim Sena, quarante-cinq des principaux ministres et notables du royaume avec une centaine de personnages de moindre marque, dit un rapport officiel anglais dont on me donne communication. Le palais appartient à l’autorité militaire et c’est le Maharaja, commandant en chef, frère du premier ministre, qui préside.

Le docteur et le lieutenant, qui ont le privilège d’être de la fête, m’en racontent les détails. Les victimes des sacrifices sont offertes par les familles riches du pays. Chaque officier est tenu d’en donner une. Les pauvres s’acquittent avec des chèvres, voire même des poules, dans les villages. Le comité des fêtes, la gatti, qui joue au Népal, comme dans la Grèce antique les liturgies, un rôle prépondérant dans la vie publique, désigne les familles qui doivent concourir successivement à la présente solennité et, par ailleurs, dans chaque caste, à tour de rôle, les membres qui doivent offrir une pouja (fête). Le buffle, le buffalo, généralement jeune, les plus gros coûtant plus cher, est lié à un pilier ; un homme le maintient immobile et un officier lui abat la tête