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ainsy que le Roy l’a volu. Et pour ceste cause y a encore mondit seigneur le Conte envoyé, depuis le retour de Saint-Denis, Mgr l’archevêque de Rains, chancelier de France et autres ambaxadeurs là envoyés de par le Roy et mondit seigneur conte. A quoy on ne luy en a encores voulu obéir. Et si on y veult mettre le siège, mondit seigneur de Clermont point ne l’empêchera et ne fera empeschement[1]. »

C’est comme si on disait au Duc de Bourgogne : « Prenez ! » Et il se met en devoir de prendre : « Lequel résolut d’avoir par force ce qu’il n’avoit pu avoir par de belles promesses et par la ruse. »

Les gens de Compiègne n’étaient donc pas mieux traités que Jeanne d’Arc ; on les exposait et on les abandonnait. Leur fidélité était gênante. L’insistance du duc aurait dû ouvrir les yeux. Mais on ne voulait rien voir, rien comprendre.

L’hiver se passa (nov. 1429-mars 1430) en de vaines négociations et des hostilités plus vaines encore. On se battait hors des pays protégés par les trêves. La Pucelle tantôt allait prendre part à des sièges plus ou moins heureux dans la région de la Loire : prise de Saint-Pierre-le-Moutier (début nov. 1429), échec devant La Charité (24 nov.) ; tantôt accompagnait le Roi, la Reine, la Cour, dans les châteaux, à Mehun-sur-Yèvre, à Bourges, à Sully-sur-Loire (fin février 1430), « très marrie de ce que le Roi n’entreprenoit de conquester de ses places sur ses ennemis. » (IV, p. 31.) On la flattait, on l’accablait d’honneurs et de cadeaux à faire fléchir une tête moins haute. C’est le moment où le Roi accorde à la famille de la Pucelle des lettres de noblesse ; on lui fournit de beaux chevaux, des armes brillantes, des vêtemens magnifiques ; — moyens des cours. Si elle s’en amuse, elle ne se laisse pas séduire. Elle bout d’impatience.

Cependant les nouvelles du Nord de la France et de la région de Compiègne arrivaient à la Cour. La ville tenait bon et le Roi était fort embarrassé. Le bruit se répandait qu’un lieutenant de Guillaume de Flavy, Baudon de La Fontaine, négociait avec le Bourguignon pour lui livrer la place par trahison. Jeanne avait eu le temps de réfléchir à la gravité de ce qui se faisait, là-bas, sans elle.

L’hiver passé et le temps des chevauchées revenu, elle fait

  1. « Réponse baillée par le doyen de Paris et le seigneur d’Espinac envoiez devers le Duc de Bourgoigne par Monseigneur le conte de Clermont, » 20 oct. 1429. (Champion, Flavy, p. 149.)