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en effet, ailleurs que dans de tels hommes, la science et la vertu réunies ? Tel Jean Chuffart, chancelier d’Isabeau de Bavière, tel son confrère, Pierre Cauchon.

Le corps des clercs et des universitaires parisiens avait eu, de bonne heure, conscience de son devoir dans le cas de Jeanne d’Arc. Cette fille inculte et maléficieuse, dont le succès avait failli mettre en péril leur autorité et leurs prébendes, leur appartenait. Dès l’année 1429, aussitôt après la levée du siège d’Orléans, un clerc français, répondant au mémoire de Jean Gerson, accuse Jeanne d’hérésie, de superstition et d’idolâtrie, la dénonce à l’Université et insiste pour que l’on mette en mouvement, contre elle, la double action de l’évêque et de l’inquisiteur ; c’est déjà l’ébauche et le schéma du procès, longtemps avant la capture de la Pucelle. Il n’y aurait rien d’impossible à ce que Cauchon fût l’auteur de ce réquisitoire avant la lettre. Nulle part n’est attestée avec plus de précision la vénération que Jeanne d’Arc inspire au peuple et les sentimens inverses qu’elle provoque chez les hommes de l’Université de Paris : « On adore ses images et ses statues, comme si elle était déjà béatifiée » (étonnante prescience de la haine ! ) La Pucelle n’a qu’à se bien garder ; son sort est clair si elle tombe entre leurs mains[1].

Elle s’approche de Paris une première fois, vient tenter un coup sur les murs de la capitale et faire trembler, dans leur lit, les bons bénéficiaires. On répétait, avec horreur, qu’on avait vu s’avancer, sur le dos d’âne des fossés, cette « femme très cruelle, vestue en guise d’homme, les cheveux rondis, chapperon déchiqueté, gippon, chausses vermeilles atachées à foison aiguillettes, » criant : « Rendez-vous ! de par Jhésus, à nous tost ; car se vous ne vous rendez avant qu’il soit nuyt, nous y entrerons par force, veuillez ou non, et tous serez mis à mort sans mercy[2]. » On affirmait que l’intention du Valois, Charles VII, était de raser la ville et de la réduire ad aratrum[3]. Heureusement, cette femme diabolique échoue ; elle s’éloigne. Mais, voilà qu’une seconde fois, au lieu de rester à vivre grassement dans ces châteaux de la Loire, jouissant de la faveur du Roi,

  1. Noël Valois, Un nouveau témoignage sur Jeanne d’Arc, dans Bulletin Soc. Hist. de France, année 1906.
  2. Journal du Bourgeois de Paris. Édition Tuetey (p. 245 et 268).
  3. Denifle et Châtelain, Jeanne d’Arc et l’Université (p. 6).