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château jusqu’à la forteresse du Crotoy, où elle est mise aux mains d’une escorte anglaise (21 novembre).

Du Crotoy, par Saint-Valéry, Eu, Dieppe, Arques et Longueville, elle est amenée à Rouen ; elle y arrive dans les derniers jours de décembre pour les fêtes de la Noël. Elle est retenue aux portes de la ville et on l’enferme dans la formidable forteresse bâtie par Philippe-Auguste, pour défendre Rouen contre les Anglais, le château de Bouvreuil[1].


Pour les Anglais, la prise de Jeanne d’Arc n’était pas seulement un succès national ; c’était une justification religieuse et morale, indispensable au gouvernement et aux hommes qui détenaient alors le pouvoir.

L’Angleterre, depuis la déchéance d’Edouard II et l’avènement de la maison de Lancastre, était aux mains d’une oligarchie. Cette oligarchie avait fait la révolution en vertu d’un système politique se résumant en ces deux termes : répression des révoltes religieuses et sociales à l’intérieur, guerre à la France au dehors.

La prospérité du pays, vers le milieu du siècle précédent, avait développé l’esprit d’indépendance et de turbulence du peuple. Wyclef avait ébranlé le respect traditionnel de l’Angleterre pour l’Eglise romaine ; les excès d’une aristocratie ecclésiastique, d’origine trop souvent étrangère, avaient provoqué des mécontentemens que Wyclef orienta vers une première « réforme ». En remettant, à chacun des fidèles, une part de « l’autorité, » en reliant chaque chrétien directement à Dieu, en affectant un ton de raillerie à l’égard des puissances établies, et même de la Papauté, « il renversait, par la base, tout l’édifice du clergé médiateur, que l’Eglise du moyen âge avait construit[2]. » Wyclef, après avoir produit, en Angleterre, une secousse sans précédent, mourut paisiblement en 1384. Il avait eu le temps d’assister à la révolte des paysans de 1381, comme, plus tard, Luther assista aux premières secousses sociales en Allemagne.

La « révolte des paysans » est un mouvement révolutionnaire,

  1. Pour tout ce qui concerne Jeanne d’Arc en Normandie, il est indispensable de se reporter au bel ouvrage de M. Sarrazin, Jeanne d’Arc et la Normandie ou XVe siècle, Rouen, 1896, in-4o.
  2. Green, Histoire du peuple anglais, traduction Monod (t. I, p. 27).