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sœur de l’illustre saint, Pierre de Luxembourg, était la marraine de Charles VII ; elle pouvait servir d’intermédiaire à une négociation que les adversaires de Jeanne crurent déjà commencée de la part du roi de France. Il semble qu’il y ait eu un moment d’espoir.

Jean de Luxembourg continuait à assiéger Compiègne ; en cas de succès, la Pucelle était un gage pour traiter de l’un ou de l’autre côté. On ne peut expliquer autrement le long délai (six mois environ) pendant lequel on tint en suspens la décision[1], puisque, dès le début, l’Angleterre offrit, par l’intermédiaire de Cauchon, la somme qui fut, à la fin, le prix d’achat de la Pucelle : 10 000 livres, une rançon royale. Cette somme devait tenter des seigneurs toujours besogneux ; mais la politique avait la première place dans les Conseils.

Jean de Luxembourg, après avoir laissé s’établir, entre les « dames » du château et la prisonnière, une intimité assez douce pour que la Pucelle en ait témoigné avec émotion au procès, ne fit connaître son intention de la livrer qu’au moment où le siège de Compiègne tournait mal. C’est alors que Jeanne tenta de s’échapper ; elle sent que le sort de Compiègne se décide ; et qu’elle sera livrée aux Anglais : « J’aimasse mieux mourir que d’estre mise en la main des Anglais, » dit-elle. (Procès, 1, 150-152.) Elle se recommande à Dieu, et, se laissant pendre à quelques hardes, se jette par une fenêtre ; on la ramasse à demi morte dans le fossé. La tante de Luxembourg quitte le château et s’en va mourir à Boulogne-sur-Mer[2].

La possession de la Pucelle n’a plus d’intérêt pour le soldat borgne. Conformément à son brutal blason (représentant un chameau pliant sous la charge, avec la devise : « A l’impossible nul n’est tenu »), furieux de son échec, tenté par la rançon royale, il cède la prisonnière. Jeanne est traînée de château en

  1. « Le roy d’Angleterre et son conseil, craignant que la Pucelle eschappât en payant rançon ou autrement, fist toute diligence de la recouvrer. Et, à ceste fin, envoya plusieurs fois vers ledit Duc de Bourgoingne et ledit Jehan de Luxembourg ; à quoi icelluy de Luxembourg ne voulloit entendre et ne la voulloit bailler à nulle fin. » (Procès, IV, 262.) — La somme de 10 000 livres tournois fut votée spécialement, à la réquisition du gouvernement anglais, par les États Généraux de Normandie.
  2. Le siège de Compiègne fut levé le 25 octobre ; Jeanne de Luxembourg fut transportée à Boulogne-sur-Mer ; elle y mourut, le 13 novembre 1430. Le marché livrant Jeanne aux Anglais est probablement de fin octobre ou début de novembre. Vallet de Viriville, Charles VII (II, 115-180).