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hautes, une adhésion spontanée à la cause de l’héroïne. Gerson, Coëtquis, d’Harcourt, Pierre de Versailles, Jacques Gelu, les docteurs et les prélats s’étaient prononcés. On avait prêché au nom de Jeanne ; on avait laissé ériger des images sur les autels. On savait ce qui se passait à Rouen : personne ne se leva, personne ne protesta. Tous imitèrent le silence de la Cour : ils se turent.

Et Rome même, Rome a-t-elle ignoré ? Le Saint-Siège se tenait, par ailleurs, exactement au courant de ce qui se passait en France. On recevait constamment, à Rome, des courriers venant de Paris, de Rouen, d’Arras, de Cambrai, et des régions avoisinantes qui, ayant vu passer Jeanne, depuis qu’elle était prisonnière, retentissaient de son nom, de ses victoires et de son malheur.

Ces pays, ces populations n’étaient pas, tant s’en faut, sans communications avec Rome[1]. Pour faire le voyage de Rouen à Rome, il ne fallait pas un mois[2]. Jeanne fut prisonnière un an ; le procès dura cinq mois. Quand Rome le voulait, elle savait faire connaître sa volonté sur des faits ecclésiastiques et politiques, de moindre importance, même sans en être priée[3].

Rome a reçu, pendant que le procès durait, des émissaires nombreux et, tout au moins, une ambassade de la part de la Cour de France[4]. Rome n’est pas beaucoup plus éloignée que

  1. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir l’important ouvrage du Père Denifle : La Désolation des Églises de France pendant la guerre de Cent ans, 1897. Notamment, pour l’époque de Charles VII, le tome Ier. C’est un recueil des communications entre la France et la Cour de Rome au sujet des affaires temporelles ecclésiastiques. Correspondance touffue et, pour des faits d’importance, souvent, bien médiocre.
  2. La nouvelle officielle de la mort de Grégoire XI fut apportée à Charles V en dix-huit jours. Elle était parvenue à Avignon en quatre jours. Voyez Valois, Grand Schisme (t. I, p. 88). — Une lettre annonçant la victoire de Baugé, écrite fin mars, est reçue à Venise le 18 avril. — En 1421, un courrier vient de Bruges à Venise en dix-sept jours et même (août 1426) cette distance est franchie en treize jours, vitesse, d’ailleurs, exceptionnelle. — Le délai normal des communications, de Paris à Rome, parait être de vingt jours environ.
  3. En 1427, quand le comte de Clermont procède à l’arrestation arbitraire de Martin Gouge, chancelier du royaume et évêque de Clermont, le Pape écrit au comte de Clermont, à la duchesse de Bourbon, au nonce, au Roi, et il obtient satisfaction. En moins de cinq mois, aller et retour, après une très laborieuse négociation, l’affaire est arrangée et Martin Gouge remis en liberté (avril-septembre, 1427). Beaucourt (II, p. 149).
  4. Ce fait considérable a passé jusqu’ici inaperçu, quoiqu’il soit mentionné incidemment par Beaucourt (II, p. 469) et par N. Valois, Pragmatique Sanction (p. 469) ; voyez aussi Denifle et Châtelain, Chartular. Univers. Paris, (t. IV, p. 487), Eugène IV notifia son élection à Charles VII par une lettre datée du 12 mars 1431. C’est en réponse que Charles VII envoya, à Rome, l’ambassade dont était membre Jean Jouvenel des Ursins. Jean Jouvenel était de retour en France le 21 août 1431, date à laquelle il se fait payer de ses débours et services. Le voyage a donc dû se faire, aller et retour, très rapidement, il est probable que l’ambassade partit pour Rome dans les premiers jours d’avril et arriva à Rome dans les premiers jours de mai. Comment supposer que l’on n’ait pas parlé du procès de Jeanne d’Arc, à moins d’admettre qu’on n’ait pas voulu en parler. — Jean Jouvenel des Ursins, après avoir été le successeur de Cauchon au siègo de Beauvais, présida, comme archevêque de Reims, au procès de réhabilitation. Mais, on a remarqué que, dans sa harangue aux États de Blois, il ne fait pas allusion à la Pucelle parmi ceux à qui on était redevable du salut du royaume.