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fois encore, de même que dans l’affaire du drapeau, les puissances ont jugé que c’était trop ; que le gouvernement crétois avait dépassé la mesure dans laquelle ses actes pouvaient être considérés comme sans importance ; enfin qu’il y avait là une violation directe, formelle, intolérable, de cette souveraineté ottomane qui doit être d’autant plus respectée qu’il en reste aujourd’hui peu de chose, et qu’à la moindre atteinte il n’en resterait rien du tout. Les puissances sont pleines de bienveillance pour la Grèce et pour la Crète, et elles estiment sans doute, dans leur for intérieur, que l’union désirée par l’une et par l’autre se fera un jour ; mais elles ont des devoirs envers la Porte, qui a consenti à mettre l’Ile en dépôt entre leurs mains, et elles y manqueraient de la manière la plus grave si, après avoir pris l’engagement de faire respecter la souveraineté ottomane, elles permettaient à la Crète de la supprimer par un acte unilatéral. Aussi ont-elles notifié à la Crète que les députés musulmans devaient être admis à siéger sans prestation de serment, et cette volonté, qui a été fermement exprimée, sera sans doute obéie. Cependant il faut tout prévoir. Dans l’affaire du drapeau, des marins ont été débarqués pour abattre l’emblème illégal. Comme une obligation du même genre pourrait s’imposer de nouveau, les puissances ont envoyé des navires dans les eaux crétoises ; mais nous espérons que les Crétois seront assez prudens pour rendre tout débarquement sans objet. Les puissances n’ont pas voulu pousser plus loin leurs prévisions et leurs précautions. S’il y a lieu de faire plus, on le verra plus tard : les Crétois feront bien de ne pas oublier que la Russie avait proposé d’envoyer tout de suite des troupes de débarquement. Autant nous avons désapprouvé le retrait inopportun des troupes que les quatre puissances avaient dans l’île, autant leur renvoi nous paraîtrait, pour le moment, inutile. Bien qu’ils en aient donné fort peu de preuves dans ces derniers temps, c’est encore à la sagesse des Crétois qu’il convient de se lier.

Dira-t-on que ce n’est pas là une solution ? En effet, ce n’en est pas une ; mais il serait fort périlleux de vouloir résoudre la question crétoise immédiatement et définitivement. Peut-être aurait-on pu le faire hier ; peut-être pourra-t-on le faire demain ; aujourd’hui, la tâche serait impossible, et les quatre puissances ne pourraient la remplir ni en fait, car elles se heurteraient à des embarras inextricables, ni en droit si elles ne faisaient pas, ou plutôt si la Porte ne faisait pas appel au concours des autres. Une solution ! Un statut définitif à la Crète ! C’est là, certes, une perspective séduisante, mais fallacieuse, et dont il faut se garder avec soin. Nous n’en voulons qu’une preuve : cette solution