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seigneurie[1]. » C’est à Crépy-en-Valois, le 11 août, que Jeanne d’Arc sentit monter le cri de l’âme française, tandis que chevauchait auprès d’elle l’archevêque Regnault de Chartres, c’est-à-dire « l’abandon. » Le peuple criait Noël ! Elle dit qu’elle voudrait mourir et être enterrée là. Son triste cœur s’ouvrait devant le diplomate à l’œil froid… Il partit de là pour se rendre à Arras traiter avec le duc.

Cinq jours après, on était à Compiègne, Jeanne au comble de l’angoisse. Elle eût voulu forcer les événemens et la volonté royale par un coup d’énergie. Faisant venir le duc d’Alençon, elle lui dit : « Mon beau duc, faites appareiller vos gens et des autres capitaines ; » et ajouta : « Par mon Martin, je veuil aller voir Paris de plus près que ne l’ay veu. » On partit pour Saint-Denis.

Le Roi résiste. Cependant, il cache encore son sentiment ; il suit de mauvaise grâce, traîné, en quelque sorte, à la remorque[2]. Le duc d’Alençon harcelait le Roi, le suppliant d’agir. Celui-ci ne répondait pas, dissimulait encore. Il attendait les réponses de Regnault de Chartres ; il sait qu’une ambassade bourguignonne, ayant à sa tête Jean de Luxembourg, s’achemine sur Compiègne pour traiter des trêves et de la paix. Jeanne revient à la charge. Les assistans suivaient des yeux ce duel et ne comprenaient pas : « Et n’y avoit celui, de quelque estat qu’il fût, qui ne deist : « Elle mettra le roy dedans Paris, se à lui ne tient[3]. »

Une grande conférence eut lieu à Compiègne, le 28, entre les ambassadeurs du Roi, ceux du Duc de Bourgogne et de Savoie. Tout le Conseil de Charles VII était présent, lui à quelques lieues, à Senlis : après de longues délibérations, on signa. C’étaient les fameuses trêves.

On comprend ce que fut, dans ces conditions, la tentative sur Paris : la Pucelle et sa troupe singulièrement réduite, jetées pour ainsi dire à la muraille, sans préparatifs et sans appuis sérieux ; le Conseil, les chefs hostiles ; le Roi loin de l’assaut, cruellement embarrassé (car il sait, lui, que les trêves sont signées). Ce n’est pas dans ces conditions que réussit une entreprise aussi risquée.

  1. Epistre de Jean Jouvenel des Ursins. Cité dans Champion (p. 30).
  2. « Quand le Roy sceut qu’ils estoient ainssi logiez en la ville de Saint-Denis, il vint à grant regret jusques en la ville de Senlis. » Perceval de Cagny (p. 24).
  3. Perceval de Cagny (p. 26).