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d’arriver à le maintenir. Elles ne peuvent donc s’accommoder de placemens semblables, contraintes qu’elles sont, pour servir les intérêts, retraites, indemnités ou dividendes qu’elles distribuent, de faire fonctionner leurs capitaux à des conditions supérieures. Maintenant, s’il s’agissait pour ces mêmes sociétés de consacrer, sur une vaste échelle, leurs capitaux à des créations de forêts, l’aléa serait si grand que des administrateurs circonspects ne consentiraient jamais à s’y aventurer. Tous les jours des particuliers font de bonnes affaires en boisant des parcelles dont ils ont constaté la médiocrité agricole, ou d’autres qu’ils achètent à bon compte à des voisins moins avertis. Mais de pareilles opérations ne sont pas à la portée de grandes sociétés qui, le jour où elles voudraient acquérir des surfaces étendues, se trouveraient en face de propriétaires ligués pour ne les leur céder qu’à des prix normaux, fondés sur le taux habituel des placemens en bois. Prédire ce que rendra après un temps déterminé un terrain artificiellement boisé est beaucoup plus difficile qu’on ne le pense, l’hectare forestier produisant, selon les sols, entre un demi-mètre cube et 10 mètres cubes par hectare. Il n’est pas téméraire toutefois d’espérer, au bout de cinquante ans, d’une lande achetée 200 francs l’hectare, ensemencée pour 50 francs, ayant donc coûté 250 francs par unité de surface, une coupe de 400 mètres cubes de perches valant 1 200 francs. Et négligeant les charges annuelles, on nous dit : 250 francs ayant rapporté 1 200 francs en cinquante ans, cela fait 24 francs par an ; le capital a été placé à 9 fr. 60 pour 100. Pas précisément. Comme on n’a rien touché pendant cinquante ans, ces 250 francs ont fonctionné simplement comme une somme placée à 3 pour 100 à intérêts composés, qui elle, au bout de cinquante ans, donnerait aussi, exactement, 1 200 francs. Ajoutons qu’en haute montagne les chiffres précédons sont irréalisables. Là, le boisement serait la ruine des sociétés. Ainsi, il est plus que probable que les forêts d’utilité publique créées par l’Etat depuis 1860 jusqu’aujourd’hui ne produiront jamais plus de 1 pour 100 des capitaux dépensés. Elles sont donc un luxe, légitime sans doute, comme celui que s’offre une ville en créant un square, mais que l’État seul peut se donner. Par conséquent, trois sortes de propriétaires seules peuvent logiquement concourir au boisement, comme cela a lieu aujourd’hui déjà : les particuliers, sur les portions de leurs domaines, trop pauvres pour fournir des