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leurs forêts, c’est-à-dire à n’en exploiter les produits que par coupes partielles à peu près égales, sinon annuelles, du moins à intervalles rapprochés ? Il est permis d’hésiter à se prononcer pour l’affirmative, car la coercition exposerait davantage le pays à des crises de surproduction ou de disette, suivant les variations de la demande. Il vaut mieux sans doute maintenir ces forêts dans leurs fonctions actuelles de réserves nationales, tantôt apportant un supplément de produits réclamés par la consommation, tantôt se cadenassant, en partie, lorsque les affaires se ralentissent. Un des privilèges spécifiques de la forêt est de conférer à son propriétaire la faculté d’en accumuler et d’en capitaliser les accroissemens annuels successifs, pour ne les réaliser qu’aux époques où les prix du marché lui conviennent. Supprimer cet avantage, ne serait-ce pas enlever aux particuliers un puissant motif d’encouragement au boisement ?

Les coupes rases ne sont pas systématiquement condamnables. Une coupe de futaie, en effet, a deux conditions principales à remplir. Elle doit d’abord être assise de façon à rendre aussi peu onéreuse que possible l’extraction des produits. Elle doit ensuite préparer le terrain à engendrer dans le plus bref délai et aux moindres frais un peuplement nouveau. Or, en bien des cas, la coupe rase remplit ces deux conditions. Elle satisfait à la première condition en montagne, beaucoup mieux que toute autre, attendu que les seules voies de vidange économiques y sont les ravins, le câble et le couloir ou rize. Mais, pour que ces procédés soient employables, il faut que les coupes soient concentrées et aboutissent à un même point de langage, et non composées d’arbres glanés sur d’immenses espaces. Quant à la régénération, la coupe rase lui est-elle favorable ? Pour nos essences de montagne dominantes, aucun doute n’est permis.

Et le charmant Manuel de l’Arbre de Cardot, qui est entre toutes les mains, nous en offre un exemple frappant par la superbe photographie, placée à sa dernière page, comme une apothéose de la forêt, qui représente une brillante parcelle appartenant à la ville de Thônes, fille précisément d’une coupe rase, faite en 1840, entre 700 et 1 300 mètres d’altitude. Que la coupe rase soit impérieusement réclamée par toutes les essences dont les jeunes plants redoutent le couvert, c’est classique. Puton, ancien directeur et professeur de l’Ecole de Nancy, après avoir rangé les exploitations forestières sous trois types : la coupe