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On s’effraie de l’absorption par la papeterie de quantités de bois toujours croissantes, depuis trente ans. La France emploie actuellement 400 millions de kilogrammes de pâte à papier, fournis par 2 800 000 mètres cubes de bois, dont 1 800 000 sont d’origine française. Mais ces 1 800 000 mètres cubes peuvent être produits par 360 000 hectares de bonnes forêts : ce n’est là que la vingt-sixième partie de notre surface forestière totale, et ce dernier chiffre est un maximum, les bois à papier provenant aussi, en proportions non négligeables, de bois blancs plantés ici et là en haies, en allées, en quinconces, en bosquets. D’autre part, ces 1 800 000 mètres cubes ne représentent que deux dixièmes de mètre cube par foyer : n’est-ce pas sûrement beaucoup moins que la diminution de la consommation en bois de feu qui s’est produite depuis l’extension du chauffage au gaz et au charbon ? La papeterie au bois est donc venue opportunément compenser la perte du plus ancien débouché, soutenir et relever les prix, et pousser par-là même au boisement.

Déjà convaincu, par l’observation des lieux, que les besoins économiques des sociétés modernes ne tendent pas à diminuer les surfaces forestières, j’ai tenu à en chercher encore une preuve graphique dans les cartes de Cassini, lesquelles, commencées dès 1669 par les ingénieurs de Louvois, terminées sur le terrain en 1744, figurent par des tracés et des signes conventionnels si nets l’état forestier du royaume au commencement du XVIIIe siècle, jusqu’aux plus petits massifs. En les rapprochant toutes de nos cartes de l’Etat-Major et de l’« Atlas forestier de la France » de Bénardeau et Cuny, publié par le ministère de l’Agriculture en 1889, j’ai constaté que les forêts existantes en France, il y a deux siècles, existent encore entièrement aujourd’hui, sans aucune exception ; — que les contours de nos grands massifs n’ont subi aucun changement ; — que quelquefois de grands vides s’y sont remplis ; — que les limites des massifs moindres sont aussi restées les mêmes et que, si elles diffèrent légèrement, c’est au profit des existences actuelles ; — enfin qu’il y a eu des extensions sensibles de forêts sur de nombreux points des contrées montagneuses du Centre et du Sud de la France.

Les récits de destructions de forêts sous la Révolution et les guerres de l’Empire sont d’imagination pure. Il n’y eut alors que des déprédations insignifiantes çà et là. En 1870, pendant que nos gardes étaient en campagne, de semblables maraudages se