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On prétend que nos forêts sont la proie de spéculateurs étrangers et victimes d’un commerce d’exportation effréné. Nullement. Pas un étranger ne vient faire concurrence à nos nationaux. Mais ceux-ci sont obligés de recourir, comme ouvriers, à des Tyroliens, des Bavarois et des Italiens, dans les districts où notre paysan, petit propriétaire, absorbé par les travaux agricoles, est empêché de prêter ses bras : de là la légende des étrangers.

Les statistiques de l’administration des douanes vont d’ailleurs nous fixer mathématiquement. D’après elles, nos exportations ont atteint par an : de 1871 à 1880, 36 560 000 francs ; de 1881 à 1890, 30 930 000 francs ; de 1891 à 1900, 45 480 000 francs ; de 1901 à 1908, 55 800 000 francs. Ces exportations consistent exclusivement en bois ouvrés. On calcule que 1 million en argent correspond à 35 000 mètres cubes en grume. Il en ressort qu’elles se sont élevées seulement, de la période 1871-80 à celle de 1901-08, de 1 280 000 à 2 millions de mètres cubes. À ce taux, elles représentent moins du quinzième de notre production totale. Car ces 2 millions de mètres cubes comprennent une certaine quantité de bois bruts, reçus d’autres pays et renvoyés à l’étranger après avoir été transformés. Quant à la progression de ces dernières années, elle s’explique fort bien par l’accroissement de produits résultant des boisemens opérés depuis plus d’un demi-siècle, par la mise en valeur, grâce au développement des voies de communication, de forêts presque vierges, par l’augmentation des possibilités forestières qu’engendrent la conversion des taillis en futaie et la substitution à la production des bois de marine de celle d’arbres de plus faible dimension qui, dans le même temps, fournissent plus de volume. En somme, nous produisons 30 millions de mètres cubes, nous en importons 5 et nous en exportons 2. Ce ne sont pas là des chiffres qui démontrent que nos forêts pâtissent de la loi inéluctable de l’échange plus que les autres marchandises.

Les particuliers ont exploité, dit-on, dans les cinq dernières années, 60 000 hectares de bois ! Quel abus ! Non. Il y a en France 6 millions d’hectares de bois particuliers, qui, rationnellement, doivent s’exploiter entre vingt et cent ans ; moyenne : soixante. Leurs propriétaires ont donc le droit de couper 100 000 hectares par an. Et où est l’abus, si les bois sont mûrs, si ce sont des ; économies accumulées, si l’industrie les réclame, et si la forêt se reconstitue immédiatement ?