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terrain. Il est impossible, sous nos climats, de créer des massifs assez serrés pour agir efficacement sur le débit des eaux au-dessus de 2 300 mètres, et même en général au-dessus de 1 800 à 2 000 mètres. Or, nos sept départemens alpestres sur leur surface totale de 4 138 800 hectares en renferment plus de 300 000 dépassant ces cotes, et nos cinq départemens pyrénéens sur leurs 2 755 987 hectares en contiennent au moins 100 000. Quant aux Cévennes et au Massif Central, dont les températures sont plus froides à altitude égale, la largeur de leurs vallées et la hauteur moindre de leurs crêtes ne favorisant pas au même degré les réflexions solaires entre versans opposés, ils n’ont pas de forêts dépassant 1 500 mètres. Si aux surfaces dénudées de forte altitude on ajoute les superficies rocheuses, sableuses et pierreuses inférieures, on voit que les deux tiers au moins des terrains dépourvus de végétation échappent à notre empire.

L’obstacle économique est le même dans les quatre régions précitées. Nos montagnes se partagent en cultures variées, mais elles sont vouées avant tout à la culture pastorale. Plusieurs écrivains néanmoins, négligeant la difficulté de faire monter l’arbre jusqu’au niveau supérieur des gazons, se demandent s’il ne serait pas bon de viser au remplacement à peu près total de la pelouse par la forêt. La houille blanche fournirait aux populations d’importantes compensations et bientôt les amoncellemens de graviers dont souffre la navigation fluviale prendraient fin. Quelque hardie que soit cette thèse, il faut l’examiner, puisqu’elle a été sérieusement émise, et soutenue avec un talent qui ne l’a pas laissée inaperçue.

L’arbre est une marchandise lourde qui représente l’emmagasinage d’une production terrière d’un nombre considérable d’années et ne s’extrait des montagnes qu’à grands frais. L’herbe, au contraire, est un produit annuel et léger que chaque été le bétail consomme sur place, après s’être installé en son alpage généralement une fois pour toutes ; de sorte que son exploitation dans les vallons et sur les plateaux les plus hauts n’entraîne pas plus de frais que dans les plaines les plus basses.

Cherchons maintenant à chiffrer cette production herbeuse de l’été dans les 25 départemens qui, au point de vue hydraulique, attirent particulièrement l’attention, et qui sont les Alpes-Maritimes, les Basses et Hautes-Alpes, la Drôme, l’Isère, la Savoie et la Haute-Savoie ; l’Ardèche, l’Aveyron, le Cantal,