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Un des esprits les plus sérieux, les plus vigoureux et les plus droits de notre temps, qui porte dignement un nom illustre, M. Daniel Halévy, vient de consacrer à Frédéric Nietzsche un livre biographique sûr, solide, sobre, discret, où l’auteur s’efface, où le héros seul paraît, où les fastidieuses études « des milieux » n’occupent que la place, et strictement, qu’elles doivent occuper, où la péribiographie n’étouffe pas la biographie, enfin un livre qui est le modèle même des études biographiques.

Nous y suivons la vie de Nietzsche, — souvent difficile à démêler et à reconstruire, — depuis sa première enfance jusqu’à sa première mort, et vous savez trop ce que je veux dire ; et jusqu’au moment où il cessa de se survivre (25 août 1900),

Il était né le 15 octobre 1844 à Rœcken en Prusse, aux confins de la Prusse et de la Saxe. Il était fils d’un pasteur, pauvre homme débile et neurasthénique, intelligent, bon musicien. Sa famille se croyait d’origine polonaise, et Nietzsche ne manqua pas, dans ses momens, qui furent nombreux, de colère contre les Allemands, de se proclamer Polonais etstrictement Polonais. Au fait, sa tête n’est guère allemande ni par le front, ni par les yeux, ni par l’ovale du visage. Ses contemporains mêmes s’en aperçurent quelquefois. M. Schuré, qui vit Nietzsche, en 1876, écrivait : « En causant avec lui, je fus frappé de la supériorité de son esprit et de l’étrangeté de sa physionomie. Front large ; cheveux courts, repoussés en brosse, pommettes saillantes du Slave. La forte moustache pendante, la coupe hardie du visage lui auraient donné l’air d’un officier de cavalerie sans un je ne sais quoi de timide et de hautain à la fois dans l’abord [ce qui précisément est très fréquent chez les officiers]. La voix musicale,