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même époque, un vicaire de Härjedalen, Martin Tunborg, soupçonné d’avoir permis dans sa maison des réunions suspectes, est arrêté. La cour d’appel subodore en lui l’hérésie, et attendu que son cerveau s’est affaibli pour avoir trop réfléchi aux choses religieuses, elle le condamne à l’internement dans l’hôpital des fous de Hernösand, « afin qu’il n’ait plus l’occasion de propager ses doctrines erronées et d’en séduire d’autres personnes. » Et, puisque nous sommes en Dalécarlie, en 1852, le clergé fait jeter dans la prison de Falun des Liseurs coupables d’avoir comparé la Bible au catéchisme et d’en avoir conclu que le catéchisme se trompait. Leur prison purgée, on les conduit enchaînés à Orsa ; on les force de s’agenouiller sur les dalles du temple et de reconnaître qu’ils ont commis un péché envers Dieu. Deux d’entre eux ayant refusé, on les ramène, toujours enchaînés, à Falun. Je pourrais multiplier les exemples. Si nombreux qu’ils fussent, j’accorderais encore à Ekman, qui les rapporte dans son livre sur les mouvemens religieux en Suède[1], que l’Eglise suédoise n’a pas été plus persécutrice que les autres, ni même autant que beaucoup d’autres. Mais elle l’a été, et de gens dont tout le crime était d’avoir suivi les erremens de ses fondateurs. Elle l’a été, et ses persécutions illogiques se justifient d’autant moins qu’elle ne s’est pas montrée capable d’absorber l’activité de ses hérétiques vaincus et le besoin d’amour qui les tourmentait.

La maison de prières de nos Dalécarliens a donc suscité un essaim bourdonnant d’Eveilleurs. Mais leur verbiage confus passerait sur les âmes comme une ride sur les flots, si un phénomène, qui leur semble mystérieux, ne déchaînait soudain toutes leurs superstitions. Un orage surprend la jeunesse de la commune dans une cabane forestière où elle dansait. Ce n’est pas un orage ordinaire. Il a été précédé d’un aboiement aigu, et, dans la rafale qui descend la montagne, on entend des cris, des sanglots, des ricanemens ; on distingue des crépitations, des huées, des ruades et un frémissement de lourdes ailes. Ces paysans, qui sont restés en communication avec les génies de leur ancien paganisme, — et qui n’éliminent que très lentement les vieilles croyances des croyances nouvelles, tant leur capacité pour le surnaturel est grande, — ressentent moins de terreur à

  1. E. J. Ekman, Histoire de la Mission intérieure, 5 vol. Stockholm, 1896-1902.