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et vous fassiez longue paix qui dure longuement ; pardonnez l’un à l’autre de bon cœur entièrement, ainsi que doivent faire loyaulx chrétiens ; et s’il vous plaist à guerroier, si allez sur les Sarrazins. » (Procès, V, 126.) Jeanne supplie le duc, « à mains jointes » d’entendre sa requête et son conseil[1].

Elle fait assurément la différence entre « la paix de Bourgogne » et la paix des Anglais, comme elle l’expose très clairement, interrogée sur ce sujet à Rouen : « Pour la paix, quant au Duc de Bourgogne, elle l’a requis du Duc de Bourgogne, dit-elle, par lectres à ses ambassadeurs. Quant aux Anglais, la paix qu’il y faut, c’est que s’en voysent en leur pays, en Angleterre. » (Procès, I, p. 234.)

Mais à quelles conditions veut-elle la paix avec le duc, cette paix entre Français ? Un désaccord — non assez remarqué — existe à ce sujet, entre la conception de Jeanne et celle des conseillers de Charles VII. Ici encore, la qualité, la rectitude d’esprit de la Pucelle se signale avec une autorité essentielle. Elle considère comme le premier gage des sentimens du duc, s’il veut réellement la paix, l’hommage qu’il doit au chef de la famille et au chef de l’Etat, en pleine cérémonie du sacre.

Dans sa pensée, il ne s’agit nullement d’une négociation entre deux égaux, mais bien d’une réconciliation de famille qui commence par un acte de soumission du vassal à l’égard du souverain. Or, voilà précisément ce que ne voulait, à aucun prix, le, Duc de Bourgogne ; il prétendait, au contraire, dénouer les liens de vassalité qui l’attachaient à la couronne de France ; il visait à l’indépendance ; et c’est ce que les conseillers du Roi, en cela si différens de Jeanne, consentaient à lui accorder, pour prix de cette pacification qui était devenue leur unique pensée.

Philippe le Bon se dérobe ; ayant entre les mains les propositions du Roi et les lettres de la Pucelle, il se retourne du côté des Anglais.

Il se rencontre avec le duc de Bedford à Paris, le 14 juillet, c’est-à-dire l’avant-veille du sacre. Là, il prend part à une cérémonie solennelle bien différente, et qui remplit de joie le cœur des « Bourguignons » de la capitale. Après avoir entendu un sermon à Notre-Dame, il se rend dans la grande salle du Palais de Justice

  1. Jadart, Jeanne d’Arc à Reims. Surtout, la brochure si précieuse du comte de Maleissye, les Reliques de Jehanne d’Arc, où les lettres sont publiées en fac-similé.