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talent d’un artiste ou d’un écrivain a su les revêtir. Ainsi le maladroit, le malhabile serait justement poursuivi. Mais, par un privilège spécial, le talent jouirait de l’immunité refusée à la médiocrité. Est-ce soutenable au siècle où nous sommes ?

Revenons au simple bon sens. Il est encore en cette matière, comme partout, le guide le plus sûr. La morale est une. Son empire doit s’imposer à tous. Aucune supériorité, pas plus celle du talent que celle du rang, de la naissance ou de la fortune n’en doit impunément braver les lois.

Il faut d’ailleurs le dire à l’honneur de nos tribunaux : bien que souvent saisis de ce moyen de défense, jamais, sauf dans un cas, aussitôt suivi de réformation par la juridiction supérieure, sur l’appel du ministère public, ils ne s’y sont laissé prendre.

Mais voici une dernière objection. Comment fixer les limites du délit ? Où commence-t-il, où finit-il ? Aucune définition n’en est donnée. Aucune définition n’en existe en effet, pas plus dans les législations étrangères que dans la nôtre. Mais n’est-ce pas la nature même des choses qui le veut ainsi ? Il y a des termes d’une clarté telle que toute définition en est superflue. Est-il besoin de définir la vérité, la conscience, la vertu ? Assurément non. Aucune expression n’aurait l’énergie du mot qui les désigne. D’autres exemples se trouvent dans la loi pénale précisément pour des délits très voisins, tels que l’attentat aux mœurs, l’outrage public à la pudeur. S’est-on jamais plaint de l’absence de leur définition ?

Il n’est donc pas une des raisons invoquées qui ne reçoive une réponse précise, directe, à mon sens, péremptoire. La force si particulière que leur donne la sanction des résolutions prises par la conférence ajoute à leur autorité.

En tout cas, pour tout esprit impartial et éclairé, un fait doit désormais demeurer acquis. Le danger ne peut plus être traité de chimère d’imaginations surchauffées ou de cerveaux malades. Il est certain, vivant, tangible. Sa menace n’est pas aléatoire ou lointaine. Elle est présente. Elle nous tient. Il faut agir énergiquement et sans retard. Car il ne s’agit de rien moins que du salut de nos enfans, de l’honneur de nos femmes, de la dignité de nos mœurs, du crédit, de l’avenir même de notre pays.

Le gouvernement français a tenu à honneur, en 1903, d’être le premier à faire voter par le Parlement la loi qui appliquait les vœux de la Conférence sur la Traite des Blanches. C’était son