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confère lui-même des titres de noblesse, tantôt il accroît le nombre des offices qui la procurent à ceux qui en sont nantis.

Plus la noblesse devient facile à acquérir, plus le vrai noble cherche à se distinguer du parvenu par ses manières, par ses mœurs, par son ton. Il fait de son visage et de son langage ses armoiries parlantes. D’où la création de certaines conventions qui doivent servir de signe particulier, de cocarde. Au milieu du XVIIe siècle, l’homme de qualité se distinguait en étant honnête homme. Lesage nous montre des hommes de qualité qui, à bout d’invention, aspirent à briller par leurs vices. L’homme bien né a une façon de se corrompre qui n’est qu’à lui et que le parvenu ne peut singer. Le bourgeois vit de crédit et son crédit dépend de l’opinion qu’on a de lui ; il est donc assujetti à l’opinion publique, il dépend d’elle, il doit la ménager. L’homme de qualité se signalera par le mépris qu’il en a, il se donnera le plaisir de la braver, de se mettre au-dessus d’elle. Tels sont les nobles auxquels s’intéresse de préférence Lesage et dont son roman nous offre de fort beaux échantillons.

La Bruyère avait défini Versailles : « une région où les vieillards sont galans, civils, polis et où les jeunes gens au contraire sont durs, féroces, sans mœurs ni politesse : ils se trouvent affranchis de la passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir, ils leur préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. Celui-là est sobre et modéré, qui ne s’enivre que de vin ; l’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le leur a rendu insipide. Ils cherchent à réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes ; il ne manque à leur débauche que de boire de l’eau-forte. « 

Telle était la jeune génération qui croissait vers la fin du siècle, et qui attendait la Régence pour prendre ses ébats sans contrainte ; semblable à celle qui avait pullulé en Angleterre à l’époque de la restauration des Stuarts, si toutefois on peut comparer les vices de la Régence française aux incomparables saturnales dont l’Angleterre fut le théâtre. C’était cette même génération, toute préparée au régime de la Régence, qui désolait Mme de Maintenon quand elle se plaignait de la jeunesse qu’elle voyait grandir autour d’elle et du mélange d’affectation et de grossièreté dont elle faisait parade : « Il n’y a plus de jeunes gens aujourd’hui, dit-elle, qui sachent parler à une femme sans la faire rougir. »