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Et dans le cœur j’avais la brise et les oiseaux.
Tous m’ont dit : « Il est temps, ma petite âme, écoute,
Ecoute dans le vent, dans le sol de la route,
Les pas du fiancé qui vient des bois nouveaux ;

« Et, si ses pas légers chantent comme les rondes
En courant après toi, suis-le, c’est ton époux !
Ferme les yeux, va-t’en ; il est plus fort que nous
Et tu découvriras en lui bien d’autres mondes.

« Mais si tu n’entends rien que le souffle du jour
Nous sommes là, le ciel, les champs, l’herbe qui lève,
Et nous te retiendrons prise dans notre rêve…
Tu ne dois pas nous fuir pour d’autres que l’amour. »

J’ai longtemps écouté les voix que le vent porte ;
L’époux venait à moi sans hâte, sans chansons,
Et ses pas lents comptaient les gerbes des moissons…
Quand il est arrivé, j’avais fermé ma porte.

EL quand je l’ai rouverte, il était tard… En chœur
Les corneilles criaient dans le ciel monotone.
Alors j’ai regardé longtemps venir l’automne…
Qui m’aidera maintenant à porter mon cœur ?

Où rejoindre en courant les autres amoureuses
Qui, toutes, m’ont laissée au milieu du chemin
Si long, si long encore où je me lasse en vain ?
Au loin fument, au loin, les demeures heureuses ;

Au loin bruit la joie aux mille voix, le chœur
Des seuils clos, des murs pleins d’intérieure fête.
Des rires, des appels m’ont heurtée à la tête,
Et les cris des enfans sont tombés sur mon cœur.

Ah ! mauvais compagnons aux caresses d’aïeule,
Printemps, Brise, Soleil, las ! que m’avez-vous dit ?
Vos perfides conseils m’ont égaré l’esprit,
Et me voilà perdue, et vous me laissez seule !