caractère. Rentrés dans les coulisses, l’univers n’a plus les yeux sur eux, ils se détendent, se reposent, secouent pour quelque temps le joug un peu pesant des convenances ; la nature reprend ses droits, se venge de la contrainte que lui ont imposée le décorum et l’étiquette ; parfois même, on redevient par trop naturel. Saint-Simon nous en fournit plus d’un exemple. C’est lui qui nous dit, que lors d’un voyage à Marly, Monseigneur, fils de Louis XIV, étant monté à l’improviste chez les princesses, les trouva qui fumaient avec des pipes qu’elles avaient envoyé chercher au corps de garde des Suisses. Et qu’un jour, la princesse de Conti, en querelle avec sa sœur la duchesse de Chartres, l’appela à voix assez haute « sac à vin » et que, celle-ci ayant entendu le mot, « répondit de sa voix lente et tremblante qu’elle aimait mieux être sac à vin que sac à guenilles, par où elle entendait Clermont et des officiers de Gardes du Corps qui avaient été, les uns chassés, les autres éloignés à cause d’elle. » Sans Saint-Simon verrions-nous bien la sœur de Mme de Montespan, Mme de Thianges, qui, « avec le taffetas vert qu’elle portait sur ses yeux fort chassieux, et une grande bavette de linge qui lui prenait sous le menton, car elle bavait sans cesse, semblait à son air et à ses manières la reine du monde ;… et que Mademoiselle et elle étant toutes deux fort propres pour leur manger, le Roi prenait plaisir à leur faire mettre des cheveux dans du beurre et dans des tourtes et qu’elles se mettaient à crier, à vomir, et lui à rire de tout son cœur. » Et sans Saint-Simon, connaîtrions-nous Mme Panache ? Et nous douterions-nous des étranges tours que le Duc et la Duchesse de Bourgogne se plaisaient à jouer à la princesse d’Harcourt, l’une des favorites de Mme de Maintenon ?
Tout cela rentre dans le chapitre des espiègleries d’un goût douteux et qui suffisent à prouver qu’aujourd’hui, si les représentations sont moins brillantes qu’alors, en revanche les entr’actes sont moins orageux et débraillés. Mais ce qui est plus important dans Saint-Simon, il a été le peintre des vices de son temps ; à la fois il les décrit avec l’exactitude d’un naturaliste qui a le goût passionné de l’observation et il les stigmatise, les marque au fer rouge avec l’indignation d’un honnête homme dont le sens moral est prompt à se révolter. Et ces vices sont de deux espèces ; d’une part, les vices d’une noblesse abaissée et qui accepte son abaissement ; d’autre part, ceux d’une bourgeoisie grandissante qui, sous le régime nouveau,