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viagère ou à terme fixe, l’exploitant cesserait toutes les cultures qui demandent plus d’une demi-douzaine d’années pour être rémunératrices, par exemple celle des plantes fourragères ou la conversion de terres arables en prairies, qui exige des clôtures, des nivellemens, des canalisations. Quinze ans avant le terme, il ne planterait plus de vignes, qui ne sont guère en plein rapport avant sept ou huit ans et exigent des dépenses de premier établissement qui ne peuvent s’amortir que sur une longue période ; trente ans d’avance, il cesserait la plantation d’arbres fruitiers, et bien plus tôt encore, le semis d’arbres forestiers, qui attendent trois quarts de siècle et même davantage pour atteindre leur croissance normale. Jamais la possession à temps n’équivaudrait à la propriété perpétuelle. Si longue qu’en fût la durée, il viendrait toujours un moment où certaines dépenses, indispensables à son maintien en parfait état, seraient suspendues. Le détenteur viager serait dans de bien plus mauvaises conditions encore que le détenteur à terme fixe, puisqu’il craindrait à tout moment de voir la mort arrêter brutalement son œuvre et rendre à l’État le bien cultivé par lui. On sait de combien de critiques la mainmorte a été l’objet. Le socialisme tend à établir une mainmorte universelle.

« En quelques générations, dit le même auteur, le régime de la collation forcée de toutes les successions à l’État ramènerait la société à la barbarie primitive. L’esprit humain perdrait une grande partie de sa prévoyance et de son énergie. Il ne se formerait guère de capitaux nouveaux. Les capitaux anciens seraient de plus en plus mal entretenus. En moins d’un siècle de ce régime, la misère s’abattrait sur le pays qui ne pourrait plus nourrir ses habitans. » L’État ne reconstituerait certes pas les capitaux à la place des particuliers, lui qui, au contraire, a besoin, pour les travaux publics qu’il entreprend, non seulement des impôts que ceux-ci lui versent annuellement et qu’ils doivent distraire de leurs salaires ou de leurs revenus, mais des sommes qu’ils lui avancent en les prélevant sur leurs propres capitaux, quand ils souscrivent à ses emprunts.

C’est d’ailleurs une chimère que de poursuivre par la diminution du nombre de parens successibles ab intestat l’augmentation des successions recueillies par l’État. Ce n’est nullement dans ce dessein que le législateur a limité à un certain degré la vocation héréditaire : c’est parce qu’il a pensé qu’une parenté