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plusieurs autres. Quel est le fondement de ce droit ? Le Code français règle la succession ab intestat d’après l’ordre présumé des préférences du défunt et de ses affections naturelles. « Quand la loi trace un ordre de succession, » disait Treilhard dans son exposé des motifs, « elle dispose pour ceux qui meurent sans avoir disposé : c’est le testament tacite ou présumé du défunt.) » Mais cette idée est moderne. La succession ab intestat a été organisée bien avant que le testament fût pratiqué. Le droit successoral ab intestat est le fait primitif et se rattache à la communauté de famille dont il est le prolongement. L’existence des héritiers réservataires que le défunt ne peut spolier prouve que la dévolution des biens est fondée sur l’idée de famille, qui empoche de dépouiller les descendans. Ceux-ci ont une sorte de copropriété et on ne saurait dire que, lorsqu’ils héritent, ils reçoivent une fortune inattendue. Le passage de l’auteur latin que nous avons cité démontre qu’il y a vingt siècles, les idées de la société romaine étaient conformes aux nôtres : Pline fait une distinction fondamentale entre les proches qui succèdent au défunt et les étrangers qu’un caprice de sa volonté pouvait instituer héritiers. Nous trouvons, dans des législations bien plus reculées encore, des démonstrations évidentes de cet état d’esprit, qui fait partie de ce qu’on peut appeler le fonds commun de l’humanité, l’instinct profond et sûr qui a guidé les premiers hommes dans l’organisation de la société. Le Code de Hammurabi, qui régnait à Babylone vers l’an 2000 avant Jésus-Christ et qui a été retrouvé gravé sur des colonnes de pierre, s’inspire déjà des principes qui se sont perpétués dans les législations modernes. Voici des exemples de la, façon dont il règle les successions[1] : « Lorsque le père à sa destinée sera allé, l’épouse prendra son trousseau et ce que son mari lui aura donné ; tant qu’elle vivra, elle les gardera ; mais elle ne peut les aliéner pour de l’argent, et, après elle, ils iront aux enfans. » Si elle n’a pas reçu de dol, elle obtiendra une part de la fortune mobilière de son mari égale à une part d’enfant. Le trousseau de la femme qui s’est remariée se partage à sa mort entre les enfans du premier et du second lit, ou, s’il n’y en a pas du second lit, entre ceux du premier lit. Si quelqu’un ayant épousé une femme, celle-ci, après lui avoir donné des enfans, meurt, son père ne

  1. Traduction du P. Scheil dans les Mémoires de la mission Morgan (p. 82).