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ou bien leur vertu serait-elle d’écarter la foudre ? Personne d’ailleurs ne s’en soucie.

Cette foule qui nous entoure, curieuse, gaie, toujours disposée à se prêter à ce qu’on lui demande, au type un peu rude, n’est pas laide. Si, par politique, les Népalais éloignent les Européens, le joyeux peuple newar, qui se plaît dans les villes, les regarde avec le plus grand plaisir, à titre d’échantillons, et l’étrangère « fait le maximum. » Il est très correct de rester dans sa voiture pour ne pas se commettre de trop près, mais je saurai bien, d’autres jours, frayer mon passage au milieu de tout le bazar[1], malgré les toiles qui forment auvent sur la façade même de certains temples, parmi les marchands accroupis à terre, sur les places et dans les rues. Quand les hommes de police se mêleront d’écarter les gens, il nie faudra les empêcher de faire le vide autour de moi.

Le retour, à la nuit tombante, par la curieuse ville que les larges toitures assombrissent, ne manque pas de pittoresque, parmi la multitude des petites lampes allumées sur le sol devant les boutiques, sous les vérandas ; les plus modestes ont leur lumignon. Des lueurs incertaines frôlent les choses sur la place, mais frappant par-dessous le visage des marchandes assises à terre, elles les détachent mystérieusement de la pénombre. Parfois, le progrès se révèle à de grosses lampes modernes qui jettent un éclat aveuglant sur les gens et les objets. Au-dessus des portes ou suspendus aux toits, les petits kâdalos de cuivre, coupes pleines de « ghi, » beurre clarifié qu’on brûle devant les temples, et d’huile de moutarde qu’on brûle devant les maisons, tiennent en respect les mauvais esprits.

Le nom de Katmandou vient, me dit-on, de deux mots sanscrits kashta et mandapa, qui veulent dire bois et temple. Se non è vero… c’est bien la ville aux temples de bois, et l’origine en serait d’ailleurs ancienne, à en croire les traditions qui la font remonter à l’an 723 de notre ère ; elle compte 60 000 habitans, dont les deux tiers sont bouddhistes, presque tous Newars, ces artistes du passé que les Gourkhas ont détournés de leurs anciens travaux. Cultivateurs et artisans, ils excellent à tous les arts manuels. Je les reverrai plus tard au Sikkini, pays pauvre où leur nombre, qui va croissant chaque année, apporte

  1. Marché, quartier marchand.