Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE ROMAN FRANÇAIS[1]

IV
L’HOMME DE QUALITÉ ET L’AVENTURIER
GIL BLAS[2]

Des brillantes années du règne du Grand Roi, nous allons passer sans transition à la Régence. De l’épopée cartésienne au roman picaresque. Assurément le contraste ne pourrait être plus marqué.

Après Louis XIV, après la représentation la plus solennelle et la plus brillante que la royauté ait jouée devant l’univers, la Régence, c’est-à-dire le débordement audacieux de toutes les passions, le libertinage de l’esprit et des mœurs, les soupers du Régent, la Duchesse de Berry, la corruption, l’agiotage, les actions du Mississipi et la France gouvernée par ce Dubois, en qui les vices combattaient, a dit un historien, à qui demeurerait le maître. Mais après tout, l’histoire est un livre bien écrit et dans les livres bien écrits, les transitions ne manquent jamais. Entre Louis XIV et la Régence, il y en a une, qu’un historien unique dans son genre, à moins qu’on ne le compare à Tacite, s’est chargé de nous révéler. Je veux parler du duc de Saint-Simon.

C’est une singulière nature que le duc de Saint-Simon, et ce qui tout d’abord paraît le plus singulier en lui, c’est le contraste que fait son tour d’esprit avec ses opinions et ses idées. Né en

  1. Voyez la Revue du 15 mars.
  2. Copyright by Mme Gabriel Lippmann.