Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/879

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous stoppons devant les soldats du Maharaja et la population rassemblée. La curiosité est intense. Caché derrière un rideau d’arbres, le bungalow est plus simple que les autres, mais le cuisinier, que le colonel Macdonald a envoyé au-devant de moi ; m’y sert un déjeuner frugal auquel l’absence du dîner de la veille me rend néanmoins très sensible. Dès huit heures, ma toilette est faite ; je reprends la course avec les hommes du colonel, cuisinier et cipayes, et deux soldats du Maharaja chargés de la surveillance des coolies. Mon bearer voyage dans la dandi populaire et primitive : un hamac suspendu à une longue et pesante tige de bois que portent quatre hommes, au moyen de deux barres mobiles adaptées aux extrémités.

En une demi-heure de montée, nous atteignons le sommet, à 2 500 mètres. Malgré les nuées qui me voilent la grande chaîne blanche et la passe de Chandraghiri, qui se dresse en face à la même altitude et me masque encore le Népal mystérieux, la vue est splendide. Le sentier plonge au-dessous de nous et se perd à chaque tournant dans le vide. Avant dix heures, nous arrivons auprès d’un long et joli pont suspendu qui m’oblige à quitter la dandi et à rompre la cadence du pas. On passe à la file indienne, sur cinq planches juxtaposées et branlantes, en face d’une grande pagode moderne près de laquelle se trouve un dharmsala, qui dénote plus de richesse que d’art. Par-delà les sauvages escarpemens, nos yeux découvrent une grande vallée sinueuse où la Panoni que nous allons suivre et remonter roule ses eaux claires. Dans ce cadre de verdure, l’œil se réjouit de rencontrer des maisons à étages, en bois brunis, de petits temples teintés de rouges, enluminés et de belle apparence, sous leurs toits de menu chaume admirablement entretenu et toujours en bon état. De jeunes femmes circulent ; elles ont la grande natte pendante dans le dos et, sur la tête, un toupet de fleurs dont le jaune éclate sur leurs cheveux noirs. Les fillettes surtout attirent mon attention ; toutes semblent porter uniformément les cheveux attachés en queue de cheval. Cette chevelure qui fait saillie, s’évase et retombe en lourde mèche derrière la tête, est d’un étrange effet. C’est la coiffure virginale ; il me souvient d’avoir déjà vu en Birmanie la mèche pendante, échappée du chignon des jeunes filles.

Un peu plus loin, nouveau pont. Ce n’est pas une œuvre d’art ; sur des piles de pierres sèches entourées d’osier, sont jetés