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que le fondateur fût-ce Rémus ou ce Romulus dont nous parle l’ancienne tradition ? Inculpé déjà de tant de graves méfaits par la critique moderne, je m’avoue encore coupable d’admettre que ce peu de connaissances précises et vraies que nous possédons sur les origines de Rome est contenu tout entier, ou peu s’en faut, dans l’ancienne tradition, et que, vers le milieu du VIIIe siècle avant Jésus-Christ, — à quelques années près, en plus ou en moins, — un prince de la famille qui régnait à Albe, pour. des motifs que laisse malaisément entrevoir la légende, vint dans cette enceinte de collines et fonda sur le Palatin une petite ville qu’il lança dans l’éternité.

Je dis qu’il la lança dans l’éternité : car il est encore possible d’attribuer à Rome la gloire d’être éternelle sans tomber dans les pompeuses hyperboles d’une rhétorique de décadence, si l’on veut dire par là que ce qui a rendu complète l’histoire de Rome, c’est l’effort synthétique, c’est le travail longtemps soutenu pour équilibrer toutes les parties de la civilisation dans une unité harmonieuse et proportionnée, et que, grâce à ces caractères, sa littérature, son droit, son histoire, seront éternellement le modèle sur lequel tiendront les yeux fixés tous les peuples ayant une tendance à faire de leur propre histoire une synthèse harmonieuse, un ensemble qui se recommande par la simplicité, par la clarté, par l’ordre et par les belles proportions. Le plus grand exemple qu’on en puisse citer dans les temps modernes, c’est la nation qui, indubitablement, a créé l’histoire la plus vaste et la plus riche des derniers siècles, c’est la France qui, profondément imbue d’esprit classique, a seule réussi, entre toutes les nations de l’Europe, et encore qu’elle l’ait fait, comme Rome ancienne, au prix de redoutables crises, à créer une histoire et une civilisation complètes, où, de même que dans l’histoire romaine, tout se retrouve, quoiqu’en un laps de temps plus restreint : l’industrie et l’agriculture, l’aristocratie et la démocratie, la monarchie et la république, la haute culture et la guerre, l’art et le droit, la philosophie et la religion, la révolution et la tradition, l’effort intérieur de la liberté et l’effort extérieur de l’expansion, tous les intérêts pratiques et toutes les aspirations idéales ; et non seulement on y retrouve tous les élémens qui composent la civilisation, mais chacun de ces élémens, dans la mesure du possible, y fait équilibre à l’élément opposé, et, tous à la fois, ils agissent les uns