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et divinisé de la ville, n’est plus qu’un nom ; et tout ce qui reste à la place de la légende, c’est un vide ténébreux, sondé en vain par d’ingénieux historiens avec les longues perches de l’hypothèse, sans qu’ils réussissent à y retrouver un lambeau de vérité.

Et pourtant, puisque Rome a existé, il faut bien qu’elle ait eu un commencement humainement intelligible. Or est-il exact qu’il n’y ait dans l’antique fable aucune lueur de vérité humainement intelligible ? Après qu’on a retranché de la légende qui se raconte sur la fondation de Rome la poésie qui l’enveloppe et qui l’imprègne, il me semble qu’il subsiste un renseignement assez sûr et assez solide, encore que très sommaire, à savoir que, conformément au témoignage de Denys, Rome fut une colonie d’Albe, colonie où essaima de la montagne vers la plaine une partie de la population de cette vieille cité. La ville de Rome ne naquit donc pas d’un petit village qui aurait grandi peu à peu, à la faveur des circonstances ; ce fut une ville fondée d’un jet, par un acte de volonté personnelle, selon un dessein étudié, dans un lieu choisi intentionnellement ; une ville qui, par conséquent, fut, dès le principe, dotée d’institutions religieuses, militaires et politiques déjà mûres, puisque, d’une part, elles avaient subi dans une autre ville plus ancienne l’épreuve d’une longue expérience, et que, d’autre part, elles avaient sans doute été modifiées avec prudence quand il s’agit de les adapter à des besoins nouveaux.

Bref, ce fut une ville qui naquit adulte, comme certaines villes, — permettez-moi cette comparaison trop moderne, — qui se fondent maintenant en Amérique ; ce fut, à ses origines, une ville neuve avec une vieille culture. Ainsi s’expliquent, et sa merveilleuse position dans le Latium, sur un fleuve, entre la mer et la montagne, elle compte précis que les Anciens ont fait de ses années depuis sa fondation, et son entrée subite et hardie dans l’histoire, et la rapidité de son développement. Mais d’ailleurs, cette ville ne put être fondée que par un ou par plusieurs chefs qui en choisirent l’assiette, qui en étudièrent les aménagemens, qui en réglèrent toutes les dispositions avec sagesse. Rien plus : l’heureux choix de l’assiette, comme aussi la sagesse des dispositions prises, nous induisent à croire que ce chef fut réellement un grand homme. Mais, puisqu’un fondateur était nécessaire pour fonder Rome, quelle raison avons-nous de nier