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prince que Barbaroux cherche à démocratiser. Cela m’amuse. » En effet le Comte d’Artois avait eu un caprice assez vif pour Rose.

Maint acteur quitte alors Montansier pour se lancer dans la mêlée politique ; tels : Grammont qui commanda la troupe, le jour de la mort de Marie-Antoinette ; Robert, chef de ballet, qui devint général de brigade ; Dufraisse, qui parvint aussi au grade de général de brigade ; étant encore au théâtre, il arborait à sa boutonnière une petite guillotine en argent. Micaelef, indigné, allait le jeter par une trappe dans le troisième dessous, quand Montansier l’arrêta en s’écriant : « Ah ! Micaelef, tu veux donc me perdre, moi qui ai toujours été si bonne pour toi ! »

La République une fois proclamée, le théâtre prend le nom de Théâtre de la Montagne, le salon est remplacé par le foyer, Girondins et Montagnards y affluent, et les rivalités politiques se compliquent de rivalités amoureuses. Saint-Just dispute vainement à Vergniaud la danseuse Rivière, Louvet et Robespierre luttent pour conquérir Sainval la cadette, et les princesses de la rampe durent plus d’une fois hésiter entre les inspirations du cœur et les conseils de la prévoyance. Victor Couailhac affirme que Robespierre adressa cet avertissement à Montansier : « Citoyenne, on prétend que l’esprit français s’est réfugié dans ton théâtre ; crois-moi, ne le fais pas servir à me railler. Et puis, si je respecte tes plaisirs, respecte les miens, car j’en ai bien peu au milieu de mes graves préoccupations. » Elle se le tint pour dit. Si l’anecdote est vraie, il s’agit sans doute ici de Robespierre jeune.

Il fallait faire du zèle ; la patrie en danger avait besoin du dévouement de tous ses enfans. Notre héroïne ferme son théâtre, organise à ses frais une compagnie pour marcher à la frontière menacée ; son amant Neuville la commande ; acteurs, figurans, machinistes, en composent le fonds, accru par des artistes d’autres théâtres, Elleviou, Clauzel, Lartigues, Gavaudan, Gallet, Seveste ; quelques actrices s’improvisent cantinières, toutes pimpantes et troublantes avec leurs costumes aux trois couleurs. La compagnie Montansier assista le 16 novembre 1792 à la bataille de Jemmapes, fut mise à l’ordre du jour de l’armée, et donna une représentation sur le champ de bataille. Dumouriez marchait sur les traces du maréchal de Saxe. Tel est en