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mais surtout en travaillant à lui conserver et à lui accroître cette qualité, qui est la plus haute dont puisse se prévaloir une histoire destinée à être lue et étudiée par tous, à savoir, la clarté humaine.

Et, si telle est l’obligation qui s’impose à tous les enfans dévoués que Rome compte encore dans le monde, il me semble que, pour conclure ce discours prononcé à la date anniversaire de la fondation de Rome, je ne saurais mieux faire que d’accomplir un acte qui sera en quelque sorte une symbolique expiation adressée aux mânes, si cruellement offensés par le XIXe siècle, d’un homme à qui la Ville doit bien quelque gratitude, puisqu’elle lui doit l’existence : je veux dire, de ressusciter Romulus.

Nul n’ignore dans quelle mystique pénombre est enveloppé le Natale Urbis. Quel commencement eut la fabuleuse grandeur de cette cité fortunée ? En tous les siècles les hommes auraient bien voulu déchirer ce voile mystérieux et connaître la réalité des choses. Mais, pendant des siècles et des siècles, on s’était contenté de répéter une poétique, encore qu’un peu confuse légende, où miracles et prodiges entouraient le berceau de la cité. Des générations et des générations avaient maudit le scélérat Amulius, plaint le malheureux Numitor et la pauvre Rhea Sylvia, chéri le bon Faustulus, médité sur l’ombre du Figuier Ruminal, caressé en imagination la Louve maternelle et salué l’aimable Pic qui descendait pour nourrir et pour abriter de ses ailes les jumeaux prédestinés. Que ce récit lut un épais tissu de fables, les Anciens l’avaient déjà compris ; mais ils en avaient respecté la trame, d’abord par dévotion civique, ensuite par une espèce de respect religieux porté aux vieilles traditions, et enfin parce qu’ils étaient incapables de lui substituer un autre récit plus précis et plus clair. L’homme doit si souvent se résigner à ignorer ! Mais voici venir le terrible XIXe siècle qui, lui, prétend tout savoir, se croit capable de tout découvrir ; et il saisit entre ses dures mains de machiniste ce tissu de fables, le lacère, l’effiloche, persuadé qu’il retrouvera la vérité entre les fils disjoints, le réduit si bien en charpie que, finalement, ce qui lui reste entre les mains n’est plus qu’un inextricable fouillis de matière morte. L’antique fable s’est évanouie avec tous ses personnages ; le pic s’est renvoie dans le ciel ; la louve s’est renfoncée dans la forêt ; Romulus lui-même, le fondateur révéré