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Comme tant d’autres femmes. Mars ne put se résigner à vieillir : elle eût inventé la beauté sociale, si elle n’avait existé avant elle. Se cramponnant à une jeunesse factice, elle voulut rester jusqu’au bout sur la brèche amoureuse, mondaine et théâtrale ; et puis, elle pensait sans doute que l’amour entretient, crée même la beauté. N’était-elle pas devenue jolie vers trente ans seulement ? Ne l’avait-on pas comparée, dans sa prime jeunesse, à un pruneau sans chair ? Scribe écrit tout exprès pour elle la Grand’Mère, destinant à l’actrice sexagénaire un rôle exquis de bonne-maman à peine automnale, et toujours infiniment séduisante ; plein de confiance, il vient la trouver et lit sa pièce : « C’est très bien, dit-elle, le rôle de Lucile me convient parfaitement ; mais qui jouera celui de la grand’mère ? « Scribe s’enfuit, et courut porter son manuscrit à Léontine Fay qui, malgré ses vingt-neuf ans, l’accepta avec joie et eut un grand succès. Pour s’excuser de revendiquer, même à soixante ans, les rôles d’ingénues et de Célimènes, Mars disait : « Je ne joue bien que lorsque je joue jeune. »

Beaucoup d’auteurs, d’artistes, avec ou sans leurs femmes, des cantatrices, des étrangères curieuses, quelques comédiens comme Talma, Armand, Firmin, Laferrière, Mme Doze, Mme Despréaux, un certain nombre de mondains, formaient le salon de Mars. Ceux qui ont fréquenté chez elle, Coulmann entre autres, affirment que pas une duchesse du faubourg Saint-Germain ne lui en aurait remontré pour le bon goût et la distinction. « Je vois encore Mme Mars, dit-il, dans cet hôtel qu’elle s’était fait bâtir, rue de la Tour-des-Dames, vêtue avec une délicieuse simplicité, portant un bouquet à la main, saluant ses hôtes avec les nuances de la plus exquise politesse, de cette voix sonore à travers laquelle se dessinaient ses moindres intentions, comme les perles dans une eau limpide. » Pendant une tournée à Strasbourg, elle accepta de déjeuner chez Coulmann, à Brumath ; il avait convoqué quelques amis, Morin, le comte Théodore de Walsh ; elle les charma en leur disant, spontanément, la Pauvre fille de Soumet. Elle promit de revenir le dimanche suivant, et l’amphitryon avait, cette fois, convié le monde officiel, avec la haute société de Strasbourg : un message leur apprit qu’une indisposition empêchait Mars de venir. On juge de la déception. Un des invités dit à Coulmann que Mlle Mars avait reçu une visite imprévue de Paris, un galant chevalier qui avait fait tout exprès le voyage de Strasbourg.