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passèrent moins tendrement aux représentations suivantes, où les classiques avaient monté une violente cabale.

Elle s’était fait une voix pour le théâtre, ainsi que le conseillait Clairon à Hérault de Séchelles, une voix montée comme un instrument, voix tendre, argentine, musicale, fraîche comme une matinée printanière ; chez elle, sa voix semblait rude, le regard presque dur, les mouvemens brusques et heurtés. C’est du moins Alexandre Dumas qui l’affirme, mais on sait que les jugemens et les souvenirs du romancier ont grand besoin d’être contrôlés. Une dame qui n’avait jamais vu Mars dans un salon, l’entendant parler chez Mme de Bawr, que ses yeux malades forçaient à tenir ses volets fermés, s’écria spontanément : « Ah ! c’est Mlle Mars ! Que je suis charmée de me rencontrer avec elle ! »

Elle souriait à ravir, elle ne savait pas rire, encore moins chanter : c’est pourquoi elle ne jouait jamais à Paris certaines pièces, la Fausse Agnès, les Trois Sultanes, qu’elle gardait pour ses représentations en province.

Quant à son esprit, elle montre assez rarement cette faculté de saillie qui voit vite, brille et frappe, ne cherche pas à s’emparer de la conversation, mais émet avec un naturel parfait des idées fines, originales ; elle a plutôt le mot de situation que le mot brillant, aime tous les arts avec passion, parle du sien à merveille. « Comme nous jouerions mieux la comédie, disait-elle, si nous tenions moins à être applaudis ! » De même que Talma excelle dans les parades, elle possède, pour contrefaire les gens, un talent qui aurait fait rire un mourant. Ajoutez-y une force de caractère peu commune ; et ce n’est pas pour cette qualité qu’on l’avait surnommée : le diamant de la Comédie-Française. « N’ai-je pas un bon caractère ? demande-t-elle au critique Hoffmann. — Mademoiselle, répond-il, vous êtes la plus aimable créature que j’aie vue, entre la toile et la rampe. » Mais un caractère ferme n’est pas toujours un bon caractère. Elle eut beaucoup d’amitié pour l’amour, et joua toujours franc jeu dans les affaires de sentiment, jusqu’à enchaîner sa liberté avec son cœur.

Comme Louise Contat, elle tournait joliment un billet, et voici deux lignes inédites qu’elle adressait à Mme Mira Singer : « Je suis traquée partout à Vichy, même dans ma baignoire, ni plus ni moins que si j’étais Rachel ou Napoléon. » Mme Mira offrit la lettre à Rachel qui fut ravie du rapprochement.