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sur les nouvelles sociétés qui s’élèvent des profondeurs des temps modernes. Car, le jour où l’histoire romaine et ses monumens ne seraient plus que des matériaux morts bons pour la seule érudition, qui les classerait et les cataloguerait dans les musées, à côté des briques du palais de Khorsabad, des statues des rois assyriens et des reliques de Mycènes, l’Empire de Rome, qui, présentement, n’a pas rendu encore le dernier soupir, irait rejoindre aux Champs Elysées de l’histoire les ombres des empires abolis, errerait là-bas sous les cyprès en compagnie de l’Empire babylonien, de l’Empire égyptien, de l’Empire carolingien ; et la civilisation latine aurait à subir dans le monde un nouveau désastre.

Ne nous montrons pas indignes de la singulière fortune historique que nous avons héritée de nos ancêtres ; comprenons pleinement ce qu’il y a de rare et même d’unique dans cette survivance idéale d’un empire tombé depuis tant de siècles et qui, éliminé du jeu des intérêts mondiaux, subsiste encore dans le système des forces morales qui animent la société moderne, n’écoutons pas ceux qui affirment que désormais les restes sacrés de la Rome antique ne peuvent plus servir que de supports aux aéroplanes volant majestueusement dans le silence de la campagne latine ; tâchons surtout, nous qui, depuis quarante ans, avons apporté dans la vieille enceinte des murs auréliens l’outillage, les idées et les intérêts d’une civilisation toute récente, tâchons de ne pas mériter que l’Eglise nous adresse le reproche d’avoir détruit, nouveaux barbares, ce qui survivait de cet Empire de Rome qu’elle a recommencé et continué avec des fortunes diverses, depuis l’effroyable catastrophe de l’Empire d’Occident. La tradition romaine pourra fleurir encore, vivace rameau, sur le tronc de notre civilisation, pourvu que nous ne nous opiniâtrions pas nous-mêmes à le couper, pourvu que nous nous appliquions à conserver aux études romaines cette valeur universelle qui seule peut en faire un élément essentiel de la culture moderne. Peu importe* si les autres histoires vieillissent ; ce qu’il faut, au contraire, à l’histoire romaine, précisément parce qu’elle sert à éduquer les générations nouvelles, c’est qu’on la rajeunisse sans cesse, non seulement en lui incorporant les faits nouveaux découverts par l’érudition et par l’archéologie, non seulement en lui infusant un plus large esprit philosophique et en lui appliquant l’expérience mûrie de l’humanité,