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naquirent de la dissolution du vieil humanisme, se sont de plus en plus éloignées de la philosophie, dans la familiarité de laquelle pourtant l’histoire avait toujours vécu durant toute la suite des siècles les plus brillans de notre civilisation, et, à la fin, elles se sont jetées entièrement entre les bras de la science, ou, pour mieux dire, elles ont cru s’y jeter : car, en fait, elles n’ont étreint qu’une ombre. Les résultats de cette erreur sont manifestes aujourd’hui.

Dans les écoles, l’analyse à outrance a porté le coup de grâce au latin, qui végétait encore, il y a un siècle, en substituant au vieil enseignement humaniste une analyse philologique dont la sécheresse a eu pour conséquence de faire rejeter avec dégoût par les nouvelles générations les plus beaux livres de Rome. Pour ce qui concerne l’histoire, cette analyse excessive, en décomposant arbitrairement les phénomènes, a étrangement confondu, tant les règles d’après lesquelles on doit poser les problèmes, que les méthodes qui servent à les résoudre ; elle a créé des problèmes chimériques, et elle n’a pas vu les véritables ; par son obstination à trop savoir et avec trop de détails, elle a souvent obscurci et rendu incompréhensible même ce qui, malgré des lacunes, était clair ; enfin elle a obligé l’histoire à répudier l’art et elle l’a ainsi séparée de la vie et du commerce des hautes classes, cette histoire qui, à toutes les grandes périodes de notre civilisation, par Thucydide, par Polybe, par Tite-Live, jusqu’à Francesco Guicciardini, avait été l’un des plus énergiques stimulans intellectuels de toutes les aristocraties vraiment dignes de gouverner.

Telle est la raison pour laquelle, commémorant, il y a trois mois, à Turin, Cesare Lombroso, je disais que je le reconnaissais comme le premier de mes maîtres : car lui seul, entre tous nos contemporains, m’avait enseigné par l’exemple à reconstituer une unité vivante avec des fragmens morts et dispersés. Telle est la raison pour laquelle j’estime aussi que tout homme de haute culture, ayant à cœur le prestige intellectuel des nations latines, devrait s’efforcer de tirer hors des cloîtres silencieux de l’érudition les études romaines, pour les ramener au milieu de la vie, des passions, des intérêts et des luttes du monde. Non, Rome ancienne ne doit pas vivre seulement dans les petits comités des érudits et des archéologues ; elle doit vivre dans l’âme des générations nouvelles, projeter son immortelle lumière